Valentine Hendrix, porter les voix des personnes les plus affectées par le changement climatique

Du haut de ses 19 ans, Valentine Hendrix en connait un tas sur les enjeux environnementaux. Il faut dire que depuis 2019, au moment où les premières marches pour le climat s'organisaient, elle a passé de longues heures à s’informer. Progressivement, elle s'est rendu compte de l’ampleur de la catastrophe vers laquelle notre société se dirigeait… "Avant ça, je n’étais absolument pas conscientisée. Je n’avais pas la moindre idée des conséquences de mes actions sur le climat, comme par exemple prendre l’avion. En me renseignant, je suis tombée de haut." Et depuis lors, elle n’a plus décroché.

Après ses études secondaires, Valentine décide de prendre une année sabbatique. Ces quelques mois seront déterminants dans le développement de ses idées et dans sa volonté d’agir pour un monde plus juste. "J’ai passé 4 mois au Danemark et puis 5 mois en Amérique latine. Au Danemark, j’étais dans une ‘Folk High School’, une université populaire. C’est une école hors du circuit classique. Une sorte d’école de la vie où tu choisis les cours en fonction de tes motivations et intérêts. J’avais des cours de potager ou encore d’activisme écologique. J’ai appris énormément de choses."

De retour en Belgique, Valentine démarre des études en sciences philosophique, politique et économique à Louvain-la-Neuve. Mais en parallèle, elle voulait s’engager pour la planète. "Je n’avais jamais vraiment imaginé rejoindre les activistes de Youth For Climate. Adélaïde Charlier et Anuna De Wever sont des filles que j’admirais, mais qui me semblaient inaccessibles." C’est lors d’une longue discussion avec son ami, Colas van Moorsel, lui aussi membre de Youth For Climate qu’elle décide de se lancer. "Il a tout de suite senti ma motivation et m’a encouragé à m'engager."

En août 2021 Valentine rejoint donc Youth For Climate, qui découle du mouvement #FridaysForFuture lancé par Greta Thunberg.  "On se bat pour la justice climatique et sociale. On considère que le réchauffement climatique n’est pas uniquement l’augmentation des gaz dans l’atmosphère, mais qu'il comprend également tous les enjeux humains qui y sont liés."  

Ce mouvement citoyen se concentre essentiellement sur les pays et les personnes les plus affectés par le réchauffement climatique, qui généralement, sont les moins responsables de la situation. "Alors que nous, Européens, nous sommes historiquement responsables du réchauffement climatique, et nous ne sommes que très peu affectés."

Pour sensibiliser les jeunes du monde entier, Valentine a co-créé le projet Their Voices dont l’objectif est de porter les voix des MAPA (Most Affected People and Areas), les personnes vivant dans les zones les plus touchées. "Le projet émane de nombreuses discussions entre Suheyla Kilic, une activiste turque, Colas van Moorsel et moi-même. À trois, on a décidé de créer un podcast pour relayer l’histoire et les difficultés des MAPA." Ils ont ensuite été rejoints par un Allemand, un Brésilien, une Russe et une Kenyane.

À l’heure actuelle, quatre podcasts sont déjà disponibles sur Spotify. Le dernier en date est particulièrement poignant. Nyombi Morris, un jeune Ougandais y aborde les impacts que le réchauffement climatique a sur sa région, mais aussi les risques qu’il encourt quotidiennement en tant que militant écologiste. Valentine poursuit : "En Belgique, on est fort protégé. Mais là-bas, ce n’est pas du tout pareil. Nyombi risque sa vie tous les jours en manifestant dans la rue ou en éduquant les jeunes à l’écologie dans les écoles…"

Et pour cause… Actuellement TotalÉnergies et CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) s’apprêtent à développer un mégaprojet pétrolier dans les régions des Grands Lacs en Afrique. "L’une des plus grosses bombes climatique et sociale de notre histoire qui porte le nom de EACOP." Un gigantesque pipeline de 1.443 kilomètres de long qui permettra d’acheminer le pétrole ougandais jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. C’est tout simplement le plus long pipeline chauffé (50°C) et enterré au monde.

L’oléoduc menace d’expulser des milliers de familles et agriculteurs de leurs terres et poserait des risques importants pour les ressources en eau, notamment dans le bassin du lac de Victoria, dont dépendent plus de 40 millions de personnes. L’oléoduc traverserait des zones à la biodiversité sensible et risquerait d’altérer ces endroits de manière irréversible alors qu’elles sont essentielles à la préservation d’espèces menacées, comme les éléphants ou les lions.

Tous les opposants à ce projet pétrolier sont vus d'un mauvais oeil par le gouvernement ougandais. "Nyombi ne vit pas dans un pays aussi démocratique que le nôtre. Les autorités veulent le faire taire, car ce n’est pas dans leur intérêt qu’il informe et s’oppose au projet EACOP. Il y a un gros problème de liberté d’expression et de droits humains. Encore une fois, ce sont les personnes les plus exposées qui peuvent le moins agir" Nyombi n’en démord pourtant pas et milite contre ce projet, au péril de sa vie.

Lueur d’espoir, les efforts des activistes aux quatre coins du globe et des populations locales commencent à porter leurs fruits. Quinze banques ont déjà refusé de financer ce projet, dont Barclays, Crédit Suisse ou encore BNP Paribas Fortis.

Selon Valentine, donner la parole aux personnes les plus vulnérables est sans doute la meilleure manière de sensibiliser le public. Cela permet d’avoir des récits concrets et légitimes. "Dans les médias et dans les évènements comme la COP, ce sont les MAPA qui devraient être au centre de toutes les attentions, de tous les débats. Car ce sont eux qui sont directement impactés par les décisions prises à l’internationale. Mais malheureusement, ils sont trop souvent invisibilisés." Leur donner une place centrale dans les débats et les rendre visibles médiatiquement est là tout l’enjeu du projet Their Voices. "En Belgique, on vit dans un monde de privilèges et on ne s’en rend pas toujours compte. La meilleure manière d’en prendre conscience, c’est à travers ces témoignages."

Et même si cela est parfois très dur à entendre, ces podcasts nous confrontent à nos responsabilités. "Ce n’est jamais évident de se retrouver face à des MAPA qui nous disent : ‘Vous les occidentaux vous ne vous rendez pas compte de l’impact de vos actions sur nos vies.’ C’est dur à encaisser. Mais on doit l’assumer. Notre système et nos modes de vie ont un impact direct sur leur vie à eux."

L’activisme fait et continuera à faire partie intégrante de la vie de Valentine. "Autant j’adore faire ça et ça m’anime au quotidien. Autant, si j’avais le choix, je ne le ferais pas. Cela signifierait que le monde va bien, mais ce n’est pas le cas. Je ne me vois pas rester dans mon canapé, inactive, et laisser passer des projets comme EACOP, sans rien essayer, en fermant les yeux. C’est mon devoir."

Et même si l’Europe et plus spécifiquement la Belgique sont relativement épargnées par les conséquences directes du changement climatique à l’heure actuelle, les récentes inondations montrent que nous ne sommes pas intouchables. Et que demain, ça ne fera qu'empirer. "On doit arrêter de se croire hors de danger."

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