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Vendredi 13 et superstitions : "Les humains ont besoin de mettre du récit symbolique sur ce qui leur arrive"

Par Adeline Louvigny sur base d'une interview de Sophie Brems via

Tenter sa chance un vendredi treize ou rester cloîtré chez soi pour ceux qui souffrent de paraskevidékatriaphobie (la peur du vendredi 13) ? De nombreuses superstitions existent autour de cette date, et plus généralement, de ce nombre, 13. Geneviève Lacroix est historienne, et nous explique qu’il faut aller chercher du côté de la Bible pour expliquer les expliquer.

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"Comme toutes les superstitions, c’est parfois assez difficile à tracer. Mais, très vraisemblablement, c’est lié au dernier repas de Jésus, la dernière Cène, qui a mal tourné. En tout cas, qui a très mal terminé pour lui, il était douze disciples, plus lui, ça fait treize. L’un d’eux ne faisait déjà presque plus partie du groupe, il était déjà déviant : c’est Judas, le traître, à qui on prête beaucoup."

"L’histoire du vrai récit serait peut-être un peu plus complexe, mais le treize avait déjà une réputation depuis aussi longtemps qu’on puisse tracer à travers l’écriture des Mésopotamiens, des Égyptiens. Ce chiffre treize, il avait toujours ce rôle difficile d’être douze plus un, douze étant l’harmonie, le petit 13 ᵉ étant la perturbation de l’harmonie. Il est clair qu’on peut projeter ces anciennes croyances et superstitions dans le récit de la dernière Cène. Et là, évidemment, ça colle très bien."

Si le nombre treize a un côté un peu sacré "dans le côté sombre", c’est aussi pour ses particularités mathématiques : c’est un nombre premier, c’est-à-dire qu’il n’est divisible que par 1 et par lui-même. "C’est un chiffre assez incasable et souvent les chiffres premiers ont une valeur sacrée, certainement dans la Bible, dans la Kabbale et dans d’autres récits mythologiques." Mais si l’on se décentre du point de vue occidental, treize prend une tout autre signification. "Énormément d’autres cultures vivent sans aucun problème avec le treize", comme en Chine ou au Japon, ou il est plutôt associé à la vie.

Pourquoi a-t-on besoin de superstitions ?

La paraskevidékatriaphobie, c’est la peur du vendredi treize… Qui a un impact réel sur la société. Un économiste américain a relevé l’impact économique d’un vendredi treize : il y a bien, ce jour-là, une baisse de la consommation, car certaines personnes ne sortent plus de chez elles. Le célèbre auteur de roman d’horreur Stephen King, par exemple : ça l’empêche de lire les pages treize des livres. Chez nous, il y a certains hôtels aussi qui ne proposent pas de chambre treize, des immeubles qui n’ont pas de 13 ᵉ étage. Pourquoi, Geneviève Lacroix, avons-nous justement des superstitions ? Pour le vendredi treize, mais aussi plus globalement.

"Dans ce mot très complexe qu’est paraskevidékatriaphobie, il y a le mot "phobie". Donc là, on parle véritablement d’une peur qui n’est liée à rien de concret, qui est irrépressible, irrationnelle, qui peut être vécue de manière terriblement paralysante par certaines personnes. Et donc, bien sûr, le marché anticipe en n’ayant pas d’appartement treize ou d’étage numéro treize pour ne pas perdre ce potentiel de marché. D’autres personnes se portent parfaitement bien par rapport à ça, parce qu’on est dans l’irrationnel. Et ça, c’est peut-être typiquement humain."

Seuls les humains ont absolument besoin de mettre du récit symbolique sur tout ce qui arrive, alors que c’est parfois strictement factuel

"Nous savons que les animaux sont capables d’énormément de comportements très complexes en termes de pensée, comme prévoir, calculer, mentir, tricher, faire des projets, vivre des deuils. Mais vraisemblablement, en tout cas à ce jour, les neurobiologistes, les psychiatres et les psychologues en arrivent à cette conclusion pour le moment, que seuls les humains ont absolument besoin de mettre du récit symbolique sur tout ce qui arrive, alors que c’est parfois strictement factuel. Et donc, si on cherche des confirmations dans une vie tout à fait normale, dans une journée normale, du fait que le vendredi treize porte-bonheur ou porte-malheur, on trouvera. Ce qui renforce aussi cette irrationalité des phobies ou cette espèce d’euphorie du vendredi treize qui, à l’inverse, serait porte-bonheur."

"Parce que finalement, la journée se déroule peut-être tout à fait normalement, mais on a un éveil, une attention particulière à tout ce qui peut arriver de positif ou de négatif. Mais ça n’a évidemment rien qui soit lié à l’histoire personnelle de quelqu’un. Ce n’est pas la peur d’un accident en termes de réminiscence. C’est vraiment de l’ordre de l’irrationnel. Et toujours aussi cette petite peur d’un mauvais œil, qui plane, qui saurait tout, qui surveillerait les gens et donc se terrer pour éviter tous les risques ou au contraire se sentir porté et affronter tous les risques. Et évidemment, il y a tout un marché aussi, les gens qui n’ont pas peur du vendredi treize et qui en font une valeur positive. On est devant quelque chose de très conséquent en matière de comportement, en matière de marché, mais profondément insaisissable."

Ce sel qu'on ne peut gaspiller

Une autre superstition bien connue est celle qui entoure le sel, car c’est un ingrédient indispensable à notre survie. "Le sel a déjà ce côté magique et on le trouve depuis la nuit des temps dans les milieux plus anciens. Le sel, c’est indispensable au fonctionnement du corps humain. Le sel, qui aussi permet de nettoyer beaucoup de choses, de conserver de la nourriture, d’aseptiser de la nourriture, a aussi cette fonction très étrange de disparaître complètement quand on le fait fondre dans de l’eau, on ne le voit plus. Il est vraiment fondu, pas en suspension, fondu. Et dès qu’on le sèche, il réapparaît."

"Il est généralement très blanc, ce qui est un gage de pureté, et donc le sel est indispensable et souvent très cher ; en tout cas, jusqu’il y a peu d’années, le sel était très cher au commerce et indispensable à la vie et à la conservation de la nourriture, plus ce côté magique. Et donc renversez du sel sur la table, c’est du gaspillage, tout simplement. D’où le côté justement répréhensible du fait de perdre cette bonne matière première. Plus le fait que le sel peut absorber les taches, don qu’il peut faire disparaître des choses… Ça ne marche jamais complètement, mais on y croit, à l’astuce des taches de vin sur la nappe. Donc un produit courant dont tout le monde a besoin, pour lequel il y a eu des taxes, des routes du sel très compliquées, une histoire vraiment complexe. Tout cela fait que gaspiller du sel, mon Dieu, mais quelle horreur ! C’est comme croiser les couverts à table, ça ne se fait pas. Ça rappelle le fait de croiser le fer. Croiser les armes, c’est un signe de violence."

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