Monde Amérique du Nord

Vente et production légale de cocaïne au Canada : une stratégie à rebours de la "War on Drugs"

© Gettyimages

Au Canada, il est désormais possible pour deux entreprises privées de Colombie Britannique (Ouest) de produire et de vendre de la cocaïne légalement. Par communiqué, l’une d’entre elle a annoncé le jeudi 2 mars qu’elle était aujourd'hui autorisée à "légalement posséder, produire, vendre et distribuer de la feuille de coca et de la cocaïne, ainsi que de la morphine, de l’ecstasy, et de l’héroïne".

Pour l’Agence fédérale de santé canadienne (Santé Canada), l'objectif de la dérogation est de lutter contre la grave crise de surdoses aux opiacés que connait la province canadienne.

La mesure vise à protéger et éloigner les consommateurs du marché illégal des drogues dures coupées au fentanyl, un dangereux opioïde, dont le mélange est souvent responsable des overdoses.

Cette avancée, qui intervient après un accord trouvé fin janvier sur la dépénalisation de la possession de petites quantités de cocaïne au Canada, ne fait pas l’unanimité. La population s’interroge, au même titre que la classe politique de Colombie Britannique.

David Eby, le Premier ministre de la province, s’est dit "étonné" par cette annonce, en soulignant que son gouvernement n’avait pas été consulté sur le sujet. De son côté, Kevin Forbes, le leader libéral de l’opposition, a dénoncé une "erreur" en soulignant que commercialiser légalement la cocaïne revenait à légaliser le trafic de cocaïne.

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Questionner la stratégie de la "War on Drugs"

Pour Didier Jutras-Aswad, chercheur au centre hospitalier de Montréal, spécialiste de la toxicomanie et de la psychiatrie des addictions, les craintes exprimées par les citoyens et les dirigeants de Colombie Britannique sont légitimes : "Je comprends parfaitement pourquoi les gens ont peur. Historiquement, en Amérique du Nord, il y a eu pendant des décennies ce qu’on appelait la 'War on Drugs', la guerre contre les drogues. La population a été pendant longtemps abreuvée d’informations autour de cette stratégie-là, qui disait que plus on criminalisait, plus on protégeait la population".

La stratégie gouvernementale de légalisation entend donc déconstruire la stigmatisation liée à l’usage des drogues. En changeant les mentalités, elle espère inciter plus de personnes dépendantes à ne plus se cacher et à demander de l’aide. 

Ce qui est essentiel, selon le chercheur, c’est de fournir des explications claires sur les raisons de la nouvelle mesure.

Le Canada est un pays où plus de 20 personnes décèdent chaque jour d’une overdose liée à la consommation de drogues dures. Les autorités doivent donc agir : "Il commence à y avoir un consensus au Canada sur le fait que notre cadre législatif, notre façon d’encadrer et de traiter la consommation de substances n’est pas optimal. Il contribue même en partie à l’augmentation du nombre de décès, ce qui est très alarmant", explique le scientifique.

La porte ouverte aux "drugstores" de cocaïne ?

Les nouvelles licences de production et de vente légale de drogues dures envoient des signaux positifs aux entrepreneurs canadiens désireux de développer une chaine d’approvisionnement sécuritaire.

À l’instar de Jerry Martin, ancien toxicomane que nos confrères de Radio-Canada ont rencontré, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir ouvrir des points de vente où les consommateurs pourront venir s’approvisionner en produit sûrs dans un lieu encadré.

US-PRESCRIPTION DRUGS BUS CANADA-01
US-PRESCRIPTION DRUGS BUS CANADA-01 © 2003 AFP / Jeff HAYNES

Didier Jutras-Aswad se veut néanmoins prudent. Pour lui, on est encore loin du concept de "drug store" qui se popularise aujourd’hui avec la vente et la production de cannabis.

Pour lui, le grand défi réside maintenant dans la façon dont les nouvelles substances de drogues dures vont être rendues disponibles sur le marché des consommateurs : "Il n’est pas garanti qu’offrir des sources plus propres (sécuritaires) va nécessairement régler le problème. Si nos nouvelles sources mieux régulées ne font que s’ajouter aux substances non-régulées et fortement toxiques, alors on ne vient qu’augmenter la circulation de ces substances sur le marché, ce qui n’est pas utile", détaille-t-il. Les nouveaux produits légaux doivent remplacer (ou diminuer en partie) l'offre de produits nocifs. Ils ne doivent pas l'alourdir. 

Dans les semaines et les mois à venir, les autorités de santé canadienne auront donc la responsabilité d’évaluer les bénéfices de leur nouvelle mesure. Elles devront analyser les effets sur la population victime d’overdose, aujourd’hui dépendante du marché illégal.

Production et vente légale de cocaïne au Canada : trois questions posées au Dr. D. Jutras-Aswad du CHU de Montréal

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