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Verhofstadt, Pompeo, Harper… : "Leur participation aux sommets des Moudjahidines du peuple iranien pose un problème"

Stephen Harper, ancien premier ministre canadien (2006-2015) avec Maryam Radjavi, présidente de l’organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI), lors d’un 'sommet virtuel pour un Iran libre' le 10 juillet 2021.

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Par Ghizlane Kounda

Même en temps de Covid, les grandes messes du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) ne sont pas passées inaperçues. Prestigieuses et militantes à la fois. Depuis juillet, le CNRI a organisé au moins trois ‘sommets virtuels pour un Iran libre’. Des dizaines de personnalités politiques y ont participé, comme Mike Pompeo, l’ancien Secrétaire d’État des États-Unis sous Donald Trump, Stephen Harper, l’ancien Premier ministre canadien (2006-2015) ou encore Guy Verhofstadt, l’eurodéputé et ancien Premier ministre belge (1999-2008).

On y promeut des valeurs démocratiques, mais surtout on y réclame des comptes au régime des mollahs iraniens et en particulier au Président, Ebrahim Raïssi. Tous soulignent la nécessité de continuer à soutenir le peuple iranien dans sa lutte pour un Iran plus libre. Non à la dictature religieuse, oui à la souveraineté populaire dans une république pluraliste. Maryam Radjavi, la présidente du CNRI modère les discours sans jamais quitter son sourire, dans un décor aménagé comme un studio de télévision. La mise en scène est soignée dans les moindres détails.

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Si l’initiative peut sembler louable, elle n’est pas sans susciter des interrogations. Le CNRI est une coalition d’opposants dont la principale composante est l’organisation des Moudjahidines du peuple iranien (OMPI-MEK), qualifiée de "secte totalitaire" par ses détracteurs ou de "combattants de la liberté" par ses adhérents. Au passage, Maryam Radjavi n’est autre que l’épouse de Massoud Radjavi, un des fondateurs et dirigeant de l’OMPI.

Maryam Radjavi, la présidente du CNRI modère les discours lors des sommets virtuels (2021).
Maryam Radjavi, la présidente du CNRI modère les discours lors des sommets virtuels (2021). © Tous droits réservés

Traduire en justice le président Ebrahim Raïssi

Pourquoi cibler en particulier le président actuel ? 'Élu' président le 18 juin dans un pays en crise, Ebrahim Raïssi, issu du camp ultraconservateur, est accusé ici d’avoir joué un rôle direct dans le ‘massacre de 30 000 prisonniers politiques' en 1988, au sein d’un comité, lorsqu’il secondait le procureur de Téhéran aux côtés d’un juge religieux et d’un représentant du ministère des Renseignements. A l’époque, il avait 27 ans. Parmi les détenus, figuraient des opposants islamo-marxistes ou de gauche, hostiles au régime de Khomeini. Le comité, surnommé la ‘commission de la mort’ décidait quels prisonniers devaient être exécutés.

"Ces détenus étaient des jeunes filles et des jeunes garçons", explique Afchine Alavi, le porte-parole du CNRI. "La plupart étaient des membres et des sympathisants de l’organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran. Ils ont été massacrés en quelques mois, à la suite d’une fatwa de Khomeini. Leurs corps ont été jetés dans des fosses communes".

Dans un rapport paru en 2017, Amnesty International confirme l’implication d’Ebrahim Raïssi. Mi-août 1988, alors que la vague d’exécutions a commencé, l’ayatollah Montazeri, compagnon de route du Guide suprême Khomeiny, envoie un courrier pour protester. Ebrahim Raissi est l’un des quatre destinataires, avec les autres membres du comité. Le chiffre réel des victimes est probablement plus près de "4000 ou 5000" morts.

Ebrahim Raïssi, lors d’une interview, le 4 septembre 2021.
Ebrahim Raïssi, lors d’une interview, le 4 septembre 2021. © Tous droits réservés

Un crime qui engage la responsabilité internationale

"Nous appelons le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et le Conseil des droits de l’homme à établir une mission internationale pour enquêter sur ce massacre de 1988 en Iran", a lancé Maraym Radjavi lors d’un sommet virtuel. Elle a également appelé les États-Unis et l’Europe à poursuivre Ebrahim Raissi. Alors qu’à Stockholm, depuis le 10 août, Hamid Noury, un ancien cadre du système judiciaire iranien est jugé pour "crimes de guerre" et "meurtres" pour son implication présumée dans les exécutions de masse.

Il est poursuivi en Suède en vertu de la compétence universelle de la justice suédoise pour ces chefs d’accusation. Il avait été arrêté en novembre 2019 à l’aéroport international de Stockholm-Arlanda à l’occasion d’une visite dans le pays.

"Il ne fait aucun doute qu’il y a lieu de poursuivre Ebrahim Raissi et d’autres", a déclaré pour sa part Geoffrey Robertson, premier président du Tribunal spécial des Nations Unies pour la Sierra Leone, avant d’ajouter "il y a eu un crime qui engage la responsabilité internationale".

"Ce sont des accusations sans fondement", a réagi le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, jugeant "inacceptable et non diplomatique" la participation du Premier ministre slovène Janez Jansa à ce rassemblement du CNRI. 

Des dizaines de personnalités politiques participent aux sommets virtuels du CNRI, Guy Verhofstadt, l’eurodéputé et ancien Premier ministre belge (1999-2008).
Des dizaines de personnalités politiques participent aux sommets virtuels du CNRI, Guy Verhofstadt, l’eurodéputé et ancien Premier ministre belge (1999-2008). © Tous droits réservés

Qui sont les Moudjahidines du peuple iranien ?

Autrefois classée parmi les organisations terroristes par les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne, l’Organisation des Moudjahidines du peuple iranien est un groupe d’opposition en exil, bien déterminé à renverser le régime islamique. Très actif à travers le monde. 

Mais son passé divise. Mouvement d’opposition au Chah puis à Khomeini. Contrainte à l’exil, pendant la guerre Iran-Irak (1980-88), l’OMPI a trouvé refuge, argent, soutien et armes auprès de Saddam Hussein pour lequel les Moudjahidin ont créé une véritable armée - l’Armée de libération nationale (ALN) - qui a servi lors d’offensives irakiennes en territoire iranien, mais aussi en Irak, contre les soulèvements kurde et chiite en 1991.

Aujourd’hui, les militants de l’OPMI affirment avoir déposé les armes et travailler au renversement du régime islamique par des moyens pacifiques.

Un trésor de guerre aux origines troubles

"C’est un des mouvements les mieux organisés, avec un trésor de guerre aux origines troubles qui permet de financer des événements d’une telle ampleur", explique Majid Golpour, chercheur associé Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité à l’ULB.

"Ils ont eu l’intelligence de faire fructifier l’argent qu’ils ont obtenu de l’Irak de Saddam Hussein ou des Etats-Unis", renchérit Mahnaz Shirali, politologue, spécialiste de l’Iran à Sciences Po’ Paris. "Ils ont investi dans l’immobilier, dans la bourse…Ils ont beaucoup de moyens financiers pour lutter contre la République Islamique. Cela compense le fait qu'ils ne sont pas nombreux dans le monde, pas plus de 3000 à travers le monde".

"Les intervenants sont souvent rémunérés", ajoute Majid Golpour "comme l’ont été le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton et l’avocat personnel du président, Rudy Giuliani".

Guy Verhofstadt est rémunéré pour ses interventions aux sommets du CNRI

Interrogés sur ces rémunérations, les organisateurs démentent. En revanche, Guy Verhofstadt confirme qu’il a été sollicité par Speakers Associates pour participer aux sommets du CNRI, en échange d’une rémunération qui devrait dépasser les 5000 euros par an. Des 'activités occasionnelles’ telles qu’elles sont indiquées dans la déclaration d’intérêts financiers des députés européens.

"Comme tous les mouvements, les Moudjahidines du peuple ont le droit démocratique de promouvoir leurs idées", analyse Majid Golpour. "Mais ce mouvement est fermé au débat d’idées et aux critiques. Il n’est réservé qu’aux Moudjahidines avec une vision assez rigoriste de l’Islam. Je ne pense pas que ce mouvement prône réellement la liberté et la démocratie en Iran".

"Les Moudjahidines du peuple ont mis en place une structure totalitaire, holiste", renchérit Mahnaz Shirali. "L'individu n'existe pas. Il est effacé dans les hiérarchies. Dans ces conditions, comment peut-on parler de démocratie ?"

Les Moudjahidines n’ont pas le monopole de ces revendications

"La participation de ces dirigeants politiques à ces sommets du CNRI pose un problème", observe encore Majid Golpour. "D’une part, elle donne l’idée que Washington, derrière Mike Pompeo, est en faveur de cette opposition et pas d’une autre. De nombreux élus américains voient en elle une alternative au régime en place. C’est non démocratique"De fait, les détracteurs de l’OMPI s’inquiètent de son poids croissant dans les couloirs du pouvoir à Washington.

"Ensuite" ajoute Majid Golpour, "les Moudjahidines n’ont pas le monopole de ces revendications, pour traduire en justice Ebrahim Raïssi. Des avocats sont investis dans des batailles juridiques, des membres de la société civile iranienne ont adressé des lettres à la Commission des droits de l’Homme des Nations-Unies. De nombreux opposants iraniens ne se reconnaissent pas dans les Moudjahidines".

Les détracteurs des Moudjahidines donnent peu de chances à l’OMPI de remporter l’adhésion en Iran, notamment pour avoir pris le parti du régime de Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak. "Ils n'ont pas d'assise populaire en Iran, encore moins auprès des jeunes", estime Mahnaz Shirali.

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