Economie

Vers une Europe mieux connectée par les trains à grande vitesse, une aspiration confrontée aux réalités nationales

Le TGV français, symbole du train à grande vitesse pour beaucoup, n'est cependant pas le seul en Europe.

© Getty Images / Michael Dunning

L’actualité des lignes à grande vitesse a surtout été liée ces derniers jours à la fusion entre Eurostar et Thalys, annoncée en 2019, mais devenue réelle en cette fin janvier 2023. Rappelons que la marque Thalys (TGV entre la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne) va disparaître, pour laisser la place à un seul nom : Eurostar. Eurostar qui gérait historiquement les liaisons entre le continent et Londres.

Gwendoline Cazenave, directrice générale d’Eurostar group expliquait lors de la concrétisation de la fusion que l’entreprise souhaite développer des "open hubs" en connectant le réseau Eurostar depuis Bruxelles, Londres, Amsterdam et Paris à un réseau européen plus large. "Les destinations deviennent alors aussi des connexions, comme pour un hub aérien."

Connexion des grandes capitales

Et "c’est un projet résolument européen de connexion des grandes capitales, elles-mêmes connectées à l’ensemble des réseaux ferroviaires : avec celui de la SNCB à Bruxelles, de la Deutsche Bahn vers l’est de l’Europe, de la SNCF à Paris vers le sud."

Face à cette annonce, le professeur d’économie de transports de l’UCLouvain, Bart Jourquin, se demande si on n’aurait pas pu, dès le départ, "réfléchir à quelque chose de plus européen. Et c’est un peu le problème du chemin de fer. Alors, on y arrive, mais on a parfois un peu l’impression que ce n’est qu’aujourd’hui que le chemin de fer se rend compte qu’il a une véritable carte à jouer sur les déplacements européens."

Sachant cela, quelles sont les autres lignes à grande vitesse en Europe ? Quels sont les projets en cours et à venir ? Et l’interopérabilité, les interconnexions, où en est-on ? Peut-on voyager partout (facilement) en Europe ? Les questions sont nombreuses à l’heure où le train se présente comme une réelle alternative à d’autres transports, comme l’avion notamment.

Ci-dessous la carte OpenRailwayMap reprenant, entre autres, les lignes à grande vitesse (en rouge) et principales en Europe (orange).

OpenRailwayMap est une carte en ligne détaillée de l’infrastructure ferroviaire mondiale, construite sur les données OpenStreetMap.
OpenRailwayMap est une carte en ligne détaillée de l’infrastructure ferroviaire mondiale, construite sur les données OpenStreetMap. © OpenRailwayMap

Le chemin de fer européen : des histoires nationales, d’abord

Pour comprendre l’état d’avancement du réseau européen des lignes à grande vitesse, il faut rappeler qu'"historiquement, les sociétés de chemin de fer sont nationales. Elles ont pour la plupart développé leur propre réseau", explique le professeur en économie des transports à l’UCLouvain, Bart Jourquin.

Il en résulte aujourd’hui des normes différentes en matière de : courant électrique, écartement des rails, largeur des voitures, système de signalisation. Pour traverser l’Europe, il a dès lors fallu trouver des solutions.

Peut-on voyager partout en Europe avec des lignes à grande vitesse ?

Aujourd’hui, estime Bart Jourquin, "on arrive à un système qui est relativement bien maillé. On a la possibilité de rejoindre la plupart des grandes villes européennes entre elles par du TGV, ce qui est relativement nouveau."

Mais qui dit voyager dans un train à grande vitesse, ne dit pas forcément rouler sur des lignes à grande vitesse d’un point A à un point B. En Europe, le réseau à grande vitesse à la particularité de se greffer au réseau ferroviaire existant. Autrement dit, lors d’un trajet en train, il n’est pas rare de passer du réseau classique à une voie à grande vitesse.

Au Japon, par exemple, ce n’est pas le cas : "Pour aller en train à grande vitesse au Japon, on est obligé d’aller de bout en bout sur le réseau à grande vitesse", explique Patrick Laval, ingénieur de formation et journaliste pour l’hebdomadaire français "La vie du Rail".

L’écartement des rails

En Europe, les trains à grande vitesse peuvent rouler aussi bien sur le réseau classique que sur des lignes à grande vitesse, "sauf en Espagne, où le réseau à grande vitesse a été construit en voie standard (comme dans le reste de l’Europe, l’écartement des rails est de 1435 mm), alors que le réseau classique est à voie large (1668 mm)." Il ajoute : "Mais c’est vrai qu’en Espagne quand vous prenez un train à grande vitesse vous roulez aussi intégralement sur une ligne à grande vitesse."

Autre réalité, en France, le réseau à grande vitesse est relativement séparé du réseau classique, "même s’il y a une compatibilité. Par exemple : Paris – Lille se fait à 95% sur une ligne à grande vitesse", précise toujours Patrick Laval.

La Belgique et l’Allemagne disposent, elles, de trois types de voies: la ligne classique, améliorée et à grande vitesse.

Petite précision encore, l’écartement standard des rails se retrouve partout en Europe, sauf en Espagne (excepté les lignes à grande vitesse), mais aussi au Portugal, en Irlande, en Finlande, en Russie et dans d’anciens pays de l’Union soviétiques.

Les lignes à grande vitesse en Belgique

La Belgique dispose depuis 2009 de 4 lignes à grande vitesse (LGV). Les travaux ont duré 16 ans et coûté plus de 5 milliards d’euros, précise le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire belge Infrabel.

  • LGV 1 : Halle – frontière française
  • LGV 2 : Louvain – Liège
  • LGV 3 : Liège – frontière allemande
  • LGV 4 : Anvers – frontière néerlandaise
© Infrabel

Toujours à propos de la Belgique, la SNCB a l’ambition de positionner le pays "comme un véritable pôle ferroviaire international relié aux grands centres urbains mais aussi à des destinations touristiques et de loisirs." Et la société de rappeler qu’elle propose 4000 destinations, dont plus de 1000 destinations à moins de 6 heures et avec maximum 1 correspondance.

Difficile de standardiser, il faut s’adapter

Les trains à grande vitesse qui sillonnent l’Europe doivent donc s’adapter tout au long de leur voyage. Les locomotives peuvent, par exemple, supporter jusqu’à quatre types de courant électriques. Un Thalys qui réalise le trajet Paris-Cologne, par exemple, utilisera des tensions de 25.000 volts – 3000 volts – 15.000 volts. S’il était allé à Amsterdam, il aurait terminé à 1500 volts.

Certains pays tentent de standardiser le matériel. C’est le cas pour la Belgique ou depuis une vingtaine d’années, Infrabel passe aux 25.000 volts (courant habituel pour les lignes à grande vitesse). L’Allemagne, elle, n’abandonnera probablement pas ses 15.000 volts."Ça a du sens et ça évite d’avoir du matériel bicourant pour son service intérieur, mais ça n’arrange pas les choses pour les voisins qui veulent rouler en Allemagne", analyse Patrick Laval.

La signalisation

Au cours de son histoire, chaque réseau national a aussi développé ses solutions en matière de signalisation. Mais "petit à petit, on essaye de recoller les morceaux en faisant une signalisation européenne commune qui s’appelle ERTMS dans certains pays", explique le journaliste de "La vie du Rail".

Des projets de lignes à grande vitesse

Patrick Laval pense qu’il y aura peut-être moins de projets en Europe de l’Ouest, "mais il y a encore des chaînons manquants dont le pourtour méditerranéen. C’est indispensable de connecter Perpignan à Montpellier, par exemple en France."

Je ne vois pas comment on pourrait faire sans

"Je ne vois pas comment on pourrait faire sans. Il y a aussi plus à l’ouest des projets en France où on veut boucler en allant au-delà de Bordeaux vers Toulouse vers l’Espagne. Ce qui connecterait enfin les réseaux français et espagnol aussi par l’ouest." Et puis : "il y a toute l’Europe de l’Est et les pays nordiques où il y a énormément à faire. Presque tout est encore à faire là-bas."

"Les Polonais travaillent beaucoup sur l’amélioration de lignes classiques avec l’idée aussi de faire des lignes à grande vitesse. La République tchèque a tout un plan qu’elle peaufine pour avoir aussi un réseau de lignes à grande vitesse."

Ce qu’il se passe avec Thalys-Eurostar ce n’est pas un élément isolé

Des projets, il y en a, mais "ce n’est pas forcément toujours à grande vitesse. Ce sont parfois des liaisons", analyse Bart Jourquin. Il y a aussi parfois des maillons manquants en transport de marchandises. On commence à remettre des trains de nuit. Aujourd’hui l’offre ferroviaire dépasse largement celle du TGV pour pouvoir permettre aux gens de voyager confortablement entre différentes grandes lignes européennes."

Selon ce spécialiste : "ce qu’il se passe avec Thalys-Eurostar ce n’est pas un élément isolé. C’est quelque chose qui fait partie d’un mouvement général avec même parfois des niches très particulières. Par exemple : une ligne de l’Orient express (entre Venise et Paris). Les gens réfléchissent à nouveau un petit peu plus train qu’ils ne l’ont fait auparavant."

Parmi les projets de lignes à grande vitesse en cours ou à venir, citons quelques exemples :

  • Le High speed 2 en Angleterre. Cette ligne à grande vitesse au nord de Londres va permettre dans un premier temps de connecter la capitale à Birmingham, Manchester.
  • L’Allemagne continue de construire des lignes à grande vitesse, morceau par morceau. Elle vient d’inaugurer la ligne Stuttgart-Ulm.
  • En France, il y a la liaison ferroviaire transalpine Lyon – Turin (projet mixte voyageurs et fret à travers les Alpes).
  • L’Espagne poursuit son réseau et la liaison avec le Portugal. Le Portugal qui a lui aussi décidé de passer à la grande vitesse.
  • Dans les pays Baltes, le projet rail Baltica s’accélère. L’idée est d’aller du golf de Finlande jusqu’à la Pologne avec une ligne nouvelle qui serait pratiquement à grande vitesse.

Le coût

A l’heure de faire des choix sur le mode de transport, pour les vacances, par exemple, le coût du voyage a toute son importance.

Bart Jourquin constate que le chemin de fer paraît être plus cher que le transport aérien. "Mais j’ajouterai avec ma casquette d’économiste des transports, qu’en fait vous allez payer un juste prix, alors que pour le moment pour le transport aérien, encore aujourd’hui, vous payez un prix en dessous de son véritable coût. Là, il y a une question de réflexion à long terme à avoir."

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