Le temps d'une histoire

Versailles et art contemporain : raisonnable ou pas ? Telle est la question.

"Sky Mirror", d’Anish Kapoor, Versailles 2015

© GettyImages – Chesnot

Par Gérald Decoster via

En 2015, au château de Versailles, l’exposition d’Anish Kapoor faisait polémique. Si son Sky Mirror était bon enfant, plusieurs œuvres du plasticien britannique d’origine indienne furent largement décriées, telles Descension, pour la sensation de mal-être qu’elle donnait ou Sectional Body preparing for Monadic Singularity, dérangeante et oppressante… Mais celle qui enflammera critiques véhémentes et même actes de vandalisme, ce sera Dirty Corner, sous-titrée " Le vagin de la Reine " par l’artiste lui-même…

"Sectionnal Body preparing for Monadic Singularity"… Une œuvre controversée d’Anish Kapoor à Versailles, en 2015
Portrait de Marie-Antoinette en gaule, Élisabeth Vigée-Lebrun, 1783
Anish Kapoor devant son "Vagin de la Reine".

Ce surnom de " Vagin de la Reine " faisait à coup sûr référence à Marie-Antoinette, reine décriée s’il en est. Souveraine rejetée sous bien des aspects, mais souveraine incomprise aussi, comme peut l’être l’art contemporain. Marie-Antoinette fut pourtant celle qui apporta la modernité de son époque dans plusieurs demeures royales, dont Versailles, à travers de nombreux décors intérieurs aujourd’hui admirés par une grande majorité du monde.

Aujourd’hui présidé par Catherine Pégard, l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles a ouvert la boîte de Pandore en se lançant dans l’art contemporain en 2008, Jean-Jacques Aillagon en étant à l’époque le Président. S’il est manifeste que l’art, quel qu’il soit, n’intéresse pas tout le monde, il faut bien avouer que l’art contemporain est souvent plus difficilement accessible, bien qu’un sondage réalisé en 2017 révèle qu’un Français sur quatre serait prêt à acquérir de telles œuvres.

En 2009, dans la cour royale du château, Xavier Veihlan devant son « Carrosse ».
En 2009, dans la cour royale du château, Xavier Veihlan devant son « Carrosse ». © GettyImages – Eric Ryan

Dès les années 1660 et tout au long du XVIIIe siècle, le château de Versailles a été un foyer de création. Même les interventions de Napoléon Ier constituent des immixtions contemporaines : à chaque époque son style… Depuis 14 ans, château et domaine accueillent les plus grands artistes du moment, invités à créer des pièces en corrélation avec les lieux

Versailles est, par excellence, le témoin somptueux de l’architecture et de la décoration des époques classique et néoclassique. Pour certains puristes, il est inconcevable d’ajouter, même temporairement, des œuvres contemporaines à ces lieux exceptionnels. Pour certains, Versailles est un sanctuaire, il doit demeurer figé dans ce qu’en ont légué les derniers souverains français. C’est là un point de vue défendable, une question sérieuse qui mériterait un grand débat…

La galerie des Glaces dans son immense splendeur classique
La galerie des Glaces dans son immense splendeur classique © GettyImages

Ces interventions d’aujourd’hui, au-delà d'offrir la possibilité à Versailles de " demeurer " dans le siècle, se proposent d’y attirer d’autres catégories de visiteurs qui, peut-être, apprendront à apprécier les beautés des siècles passés… C’est là une forme d’éducation permanente qui vaut aussi pour son inverse : apprendre à estimer l’art contemporain pour les irréductibles de " l’ancien ".

Il faut reconnaître que juxtaposer " ancien " et " moderne " n’est pas chose simple, la " querelle " n’est pas neuve ! Pourtant, si l’on se réfère aux interventions contemporaines au palais royal de Bruxelles, elles aussi pensées pour le lieu et définitives, on se rend aisément compte que la conversation entre ancien et nouveau est possible.

Pour preuves : en 2013, Rena et Erwan Bouroullec ont imaginé une œuvre composée de 800 gobelets de cristal Swarovski, mis en valeur par des LEDs, qui constituent le lustre " Gabriel ", du nom de l’escalier de Versailles où il a pris place ; ce majestueux degré, entrepris en 1772 par Ange-Jacques Gabriel, ne fut achevé qu’en… 1985 !

L’escalier Gabriel et son lustre des frères Bouroullec
Michel Othoniel et Louis Benech dans le bosquet du Théâtre d’eau.

Dans les jardins, le bosquet du Théâtre d’eau, ravagé par la tempête de 1999, a été totalement repensé par le paysagiste Louis Benech. Pour cet espace, l’artiste Jean-Michel Othoniel a conçu trois fontaines constituées de 2.000 perles ayant demandé 20.000 feuilles d’or. Aucune critique ne s’est jamais élevée pour ces œuvres pérennes…

L’un des problèmes qui se pose avec l’art contemporain, c’est qu’il emprunte souvent les chemins de l’abstraction, de ce fait, l’intégrer à Versailles, un domaine où tout a été pensé et conçu sous le rapport du symbole concret, peut sembler une erreur fondamentale pour bien des amoureux des lieux. Se profile alors la grande question philosophique de "qu’est-ce que le beau ?"

Si l’exposition d’Anish Kapoor demeure dans les annales – l’artiste a exposé des pièces identiques en d’autres lieux, sans entraîner de telles polémiques – peut-être existe-t-il un " problème versaillais " qui revient à la surface selon les artistes exposés. Car, finalement, si l’une ou l’autre pièce de chaque cession peut soulever questionnement, les expositions totalement décriées sont minorité. Quelques exemples ?

L’édition inaugurale de 2008 avait fait fort ! Lorsque l’on arrivait dans le salon d’Hercule pour admirer l’un des plus grands plafonds peints du monde ou Le repas chez Simon, du Véronèse, on pouvait légitimement être surpris par la présence du Balloon Dog, du pop artiste américain Jeff Koons, l’une de ses 17 œuvres exposées ! La critique fut importante, y compris de la part de la Fondation pour le patrimoine. La réponse de Jean-Jacques Aillagon fut simple :

Versailles doit " rester un lieu culturel vivant et ne pas être plongé dans le formol ".

En 2010, ce sera au tour de Takashi Murakami de soulever la polémique…

Si certains artistes ne soulèveront aucune vague, tel Lee Ufan, il arrivera que certaines œuvres proposées soient refusées. C’est ce qui est arrivé à l’artiste portugaise Joana Vasconcelos en 2012 : sa Fiancée, assemblage de 25.000 tampons hygiéniques, ne reçut pas l’autorisation d’entrer au château… Pourtant, on peut imaginer que cette création aurait plu à Marie-Antoinette…

En 2014, Lee Ufan devant son "Arche de Versailles".
Dans la galerie des Batailles, Catherine Pégard, Présidente de Versailles, et Joana Vasconcelos devant ses "Walkyries".

C’est clair, avec le temps, le principe d’exposer l’art contemporain à Versailles semble s’être installé, même si l’on sera toujours, selon son regard, pas du tout, un peu, beaucoup surpris par certains artistes ou certaines œuvres. Dans de nombreuses institutions muséales, le concept d’expositions temporaires d’art contemporain en confrontation avec les lieux semble s’inscrire dans l’optique d’empêcher une cristallisation des lieux tout autant que d’attirer d’autres visiteurs. Quel que soit le musée, l’idée peut déranger…

Mais, après tout, un simple conseil : si l’on aime ce genre d’expérience, tant mieux, si l’on veut goûter aux lieux dans leur plénitude historique, il suffit de ne pas s’y rendre au moment de ces événements largement annoncés…

En 2016, dans la galerie des Glaces, l’artiste Olafur Eliasson ; dans l’embrasure de la porte menant au Salon de la Paix, on distingue l’une de ses œuvres…
Quelques œuvres de Claude et François-Xavier Lalanne dans le pavillon du Jardin Français de Trianon, en 2021.

À voir, dans " Le Temps d’une histoire ", vendredi 11 mars à 23 heures sur La Une, Marie-Antoinette, l’insouciance guillotinée.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous