Week-end Première

Vincent Chabault : "On voit qu’à chaque évolution commerciale, le petit magasin n’a pas disparu"

L'invité

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L’expression Retail apocalypse désigne la vague de fermeture des magasins aux Etats-Unis, depuis une dizaine d’années. Si nous n’en sommes pas encore là en Belgique, le Covid a précipité l’augmentation des achats en ligne et la crise énergétique occasionne elle aussi des fermetures de boutiques. Alors, les boutiques et les commerces de proximité sont-ils en train de vivre leur chant du cygne ? Rien n’est moins sûr !

C’est du moins ce qu’on se dit à la lecture de Eloge du magasin – contre l’amazonisation du sociologue Vincent Chabault, paru chez Gallimard et en poche chez Folio Actuel.

© Getty Images

Ce qui se joue quand on fait ses courses

Le livre nous montre à quel point faire ses courses, c’est bien plus que faire ses courses.

"C’est une promenade sociologique dans différents lieux de commerce et j’ai voulu souligner les différents processus sociaux qui s’y jouent, au-delà de l’approvisionnement. C’est un lieu du lien, de découverte, d’acculturation, de divertissement. C’est un lieu où on a la possibilité d’afficher son statut social, un engagement, quel qu’il soit. C’est un lieu où se cristallisent aussi des émotions, des souvenirs, des repères dans une vie."

Vincent Chabault évoque notamment deux publics pour lesquels le centre commercial est bien au-delà d’un lieu de consommation.

  • Les personnes âgées sortent pour voir du monde, et régulièrement se retrouvent en petits groupes dans des centres commerciaux à l’échelle de la planète, pour de petits liens, de petites relations. C’est une sociabilité de proximité qui les fait exister, les occupe et joue un rôle dans leur intégration sociale, contre l’isolement relationnel qui est leur quotidien.
  • En Arabie Saoudite, pour les jeunes filles et les jeunes femmes, le centre commercial (en particulier les rayons de mode, de maquillage) joue un rôle d’émancipation d’un pouvoir familial et religieux très fort.

Consommer, c’est aussi un moyen de trouver sa place dans la société, de se positionner comme membre d’un groupe. Certains peuvent s’en sentir exclus, notamment les milieux sociaux défavorisés ou les personnes issues d’autres cultures.

Des techniques pour pousser à la consommation

Vincent Chabault recense aussi les techniques utilisées pour nous donner envie d’acheter, notamment le contrôle de la température.

Une première logique est d’affranchir la consommation de tous les éléments météorologiques : on y trouve de la chaleur l’hiver et la climatisation l’été.

Mais la température peut aussi venir influencer la consommation. Lorsqu’on a trop chaud dans un magasin, on s’engourdit et cet état second nous rend plus vulnérables et donc moins résistants à la tentation consumériste.

Il cite une étude de Samuel Doux sur les magasins Ikea, qui qualifie cette expérience en magasin de régressive. On confie au magasin, comme un enfant s’en remet à ses parents, le soin d’aménager notre intérieur.

Le spectacle du marché

Le marché, c’est la convivialité qui vient influencer les transactions économiques. C’est aussi le moyen d’accéder à une identité locale, comme en Provence, même si elle est parfois un peu factice et artificielle, souligne Vincent Chabault.

Le marché, c’est un théâtre. Tout le monde y joue un rôle, ce qui permet de dégager une atmosphère bien particulière à laquelle les clients sont attachés.

Les démonstrateurs de foire proposent tout un spectacle pour parvenir à conclure la vente. Ils maîtrisent habilement l’interaction et la réaction du public, parfois même de façon autoritaire.

Le luxe et les soldes

Dans les boutiques de prêt-à-porter de luxe, on vient d’ordinaire chercher le service personnalisé. "La relation avec la vendeuse va au-delà de la transaction, c’est quasiment une identité vestimentaire qui est élaborée, conjointement, entre la vendeuse et la cliente."

Mais pendant les soldes, ces magasins organisent 'la dégradation des conditions d’achat', affirme Vincent Chabault. "Pendant les soldes, on n’est plus du tout dans ce cadre-là. C’est l’accumulation qui règne, quasiment le bazar. […] Cette atmosphère des soldes tranche radicalement avec le cadre habituel de ces magasins de prêt-à-porter de luxe, feutré, où l’on prend soin des clients."

Rien n’est perdu…

Pour Vincent Chabault, le succès du commerce en ligne ne sonne pas forcément le glas du magasin.

En Belgique, les ventes en ligne sur Amazon ou les différentes plateformes ne représentent que 10% du commerce de détail. En France, 15%.

"Et puis, quand on regarde l’histoire du commerce moderne, depuis 170 ans, avec la naissance du Bon Marché à Paris, en 1852, dépeint par Emile Zola dans 'Le Bonheur des Dames', on voit qu’à chaque évolution commerciale, le petit magasin n’a pas disparu, de la même manière que la grande distribution n’a pas tué le marché du dimanche. Et les librairies, les magasins de prêt-à-porter n’ont pas été tués par les plateformes."

Vincent Chabault donnera une conférence le 16 mars au Delta à Namur et sera le 30 mars à la Foire du Livre de Bruxelles.

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