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Violences conjugales : le chemin de la reconstruction passe par la maison maternelle du Brabant wallon

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De l’extérieur, c’est une grande maison de ville à double porte située dans la commune d’Ottignies. Mais on n’entre pas ici comme on veut : caméra, parlophone, les mesures de sécurité sont là pour tenir à distance d’éventuels conjoints violents. Une vingtaine de femmes résident entre ces murs, souvent avec leurs enfants, dans des chambres individuelles. Ce sont des jeunes femmes enceintes, des femmes très précarisées ou, dans la très grande majorité des cas, des victimes de violence conjugale. Françoise Jacques est à la tête de cette institution et d’une équipe composée majoritairement d’assistantes sociales, d’éducatrices et de puéricultrices :

" Notre première mission c’est l’accueil, 24H/24 ; être là quand elles sonnent à la porte, quand la police arrive… nous les mettons à l’abri et en fonction du nombre de chambres disponibles, nous leur proposons un hébergement pendant une période de 9 mois, avec des prolongations possibles."

Solange et Malika, viennent de passer plusieurs mois dans ces murs et elles ont accepté de nous raconter leurs parcours."

"Si tu ne la fermes pas, je vais t’enterrer dans le jardin"

Avant son mariage, Malika était une jeune femme solaire, libre et indépendante. Une fois mariée, le piège s’est refermé sur elle, insidieusement. Vu de l’extérieur, c’était une petite famille comme tant d’autres mais une fois la porte close, son mari a révélé un tout autre visage.

" J’avais peur en fait. Il me disait : un jour je vais t’enterrer dans le jardin si tu ne fermes pas ta gueule. Il a tellement mis ces phrases-là dans ma tête : tu es folle, tu es schizophrène, tu es anorexique, la juge va te voir comme ça et elle va te prendre tes gosses… en fait, il arrivait toujours à me culpabiliser. Il m’a mis une terreur, même pour parler, ça fait seulement un petit temps que je commence à tenir une conversation convenable et encore…" poursuit Malika dont la gorge se noue.

La jeune maman est restée chez elle pendant plusieurs années pour "préserver son cocon familial" dit-elle mais c’est aussi pour ses enfants qu’un jour, elle a eu le courage de partir.

" Il m’a étranglée un jour devant mon fils et je n’ai plus pu le supporter. Je lui disais toujours arrête, descends-moi dans la cave, fais ce que tu veux mais pas devant les enfants, pas devant les enfants et il me répondait : mais quoi ? De toute façon, tu ne partiras pas, tu ne prendras pas mes enfants, la juge te verrait comme ça avec tes 35 kg…"

Un soir, à bout de forces, Malika a pris son téléphone, elle a appelé sa psychologue à l’aide et elle s’est extraite de cet enfer.

Un appartement supervisé pour réapprendre à vivre en autonomie

© Françoise Jacques

Avec l’aide de l’équipe psychoéducative de la maison maternelle, d’un suivi psy extérieur aussi, Malika s’est peu à peu redressée. La jeune femme vit désormais dans un appartement indépendant et supervisé, à proximité de la maison où elle retourne très régulièrement. Il y a peu de temps, elle aurait quitté cette structure du jour au lendemain, sans transition et sans avoir pu mettre en place d’autres habitudes que celles qu’elle connaissait antérieurement.

" L’objectif de ce projet que nous avons récemment mis en place, c’est de leur permettre de vivre en appartement supervisé avec un suivi de notre équipe afin qu’elles puissent tester leur autonomie et leurs capacités tout en étant sécurisées" précise Françoise Jacques.

Un passage d’autant plus nécessaire que les victimes de violences conjugales sont susceptibles de reproduire le même système que celui qu’elles ont connu en couple si elles n’ont pas eu l’occasion d’en expérimenter un autre fiable, au préalable.

N’empêche. Humiliées, rabaissées, la plupart de ces femmes se sont petit à petit désintégrées jusqu’à n’être plus que l’ombre d’elles -même. Alors sauter dans le vide, s’assumer seules, cela ne va pas forcément de soi, a fortiori à 54 ans. Solange n'en est pas à son premier séjour dans l’institution. Cette fois-ci, elle a été victime de violences psychologiques de la part de son compagnon : interdiction de se maquiller, de regarder la télévision, de dormir dans le lit conjugal. Dans un mois, elle quittera le cocon institutionnel pour retourner dans le monde et ce grand saut la remplit d’appréhensions.

"Oui, j’ai trouvé un logement mais je me pose encore beaucoup de questions. Est-ce que je vais savoir assumer financièrement, est-ce que je suis prête pour partir, est-ce que ce n’est pas trop tôt ? J’ai peur. Je vous jure, j’ai peur de tout." dit-elle d’une voix peu assurée.

Vivre de manière autonome donc, mais pas sans garde-fous. Pour éviter les récidives, des filets de sécurité ont été mis en place explique l’assistante sociale qui la suit. Quand Solange vivra seule, elle devra donner de ses nouvelles à la maison maternelle chaque semaine et un scénario a été établi au préalable avec le voisinage. Au cas où son ex-conjoint chercherait à l’approcher, elle sait qu’elle pourra déposer une peluche sur l’appui de fenêtre pour avertir qu’elle est en danger ou faire semblant de ne pas savoir payer ses courses chez l’épicier du quartier qui comprendra le sens de ce geste. Stratagèmes indispensables.

Se constituer une boîte à outils

Pour aider ces femmes à relever la tête, la maison maternelle les a dotées d’une boîte à outils. Pendant leur séjour l’équipe psychoéducative leur a donné accès à des ressources qu’elles doivent être capables d’aller rechercher, selon leurs besoins. Aurore Mayne est éducatrice et elle dispense un atelier intitulé " fil en soi". Grâce aux dons vestimentaires reçus, elle offre aux résidentes la possibilité de se constituer une petite garde-robe – elles ont souvent quitté le domicile sans rien - mais l’essentiel se situe ailleurs :

" Le but poursuivi c’est surtout de travailler leur estime de soi, leur amour-propre, car à force d’avoir été rabaissées, elles les ont perdus. Alors comment les faire revenir, leur redonner confiance en elles pour qu’elles puissent à leur tour les transmettre à leurs enfants."

Un long travail de reconstruction s’amorce ici, entre femmes, en toute confiance. Sous le regard bienveillant de leurs compagnes d’infortune et des professionnels, elles reprennent peu à peu confiance dans leurs compétences.

Un appel par jour en Brabant wallon

La maison maternelle du Brabant wallon a 40 ans et ses chambres sont occupées nuit et jour, 365 jours par an. Elle reçoit un appel de détresse par jour et se trouve dans l’incapacité de répondre à toutes les sollicitations. En 2022 a reçu l’agrément pour dix lits supplémentaires mais on sait déjà que cela ne sera pas suffisant pour répondre à la demande.

Ici comme ailleurs dans le pays, d’autres Malika, d’autres Solange n’auront d’autre choix que de tomber sous les coups de leurs conjoints à défaut d’avoir été protégées.

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