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Visite d'Anthony Blinken en Israel et en Cisjordanie occupée : "Si Washington devait faire quelque chose pour le conflit israélo-palestinien, ça serait fait depuis longtemps"

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken (à gauche) et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu donnent une conférence de presse conjointe, le 30 janvier 2023 à Jérusalem.

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"Cette résurgence de la violence entre Israéliens et Palestiniens s’inscrit dans une situation délétère", estime Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (l’Institut des relations internationales et stratégiques).

Depuis plusieurs jours, c’est l’escalade. Jeudi, un raid israélien à Jénine a fait dix morts. S’en est suivi des tirs de roquettes de Gaza vers Israel, puis des frappes israéliennes. En représailles, l’une des deux attaques palestiniennes à Jérusalem-Est a fait sept morts.

Le mode opératoire interpelle : un enfant de 13 ans a tiré avec une arme à feu. Du jamais vu. On n'est pas ici dans des attaques au couteau ou des voitures bélier.

"La population palestinienne est très jeune", observe Ines Abdel Razek, directrice de l’association Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). "C’est une jeunesse qui n’a connu que la violence, dans un environnement annexé à la merci du régime israélien et qui n’a pas les mêmes droits que les citoyens israéliens. Une jeunesse qui se sent abandonnée à la fois par les autorités palestiniennes et par la communauté internationale".

Une nouvelle forme de combat

Le combat des Palestiniens n’est pas nouveau, "c’est la forme qui est nouvelle", analyse Didier Billion. "On n’a plus à faire à un groupe organisé, structuré et centralisé comme l’OLP, le FPLP ou le Hamas, où il y avait une logique. Aujourd’hui, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes", constate-t-il. "Là, les réactions individuelles sont devenues incontrôlables".

A côté de ces actions individuelles, des groupes armés sont capables de rassembler plusieurs dizaines de jeunes et se procurer des armes. Ils sont très vite démantelés par les services de renseignements israéliens et par l’armée.

"Une grande partie de la population palestinienne et notamment les jeunes sont désespérés de la situation", insiste Didier Billion. "Ils ne voient aucun avenir. L’Autorité palestinienne est déconnectée des réalités sociales de son propre territoire. Dès lors, les jeunes n’ont plus que des solutions de désespoir".

Les deux attaques se sont produites à Jérusalem-Est, un territoire palestinien annexé par Israel depuis 1967. Doit-on y voir des actions dirigées contre l’occupation ? "Quand on voit le mouvement de colonisation progresser chaque jour, on peut comprendre, sans justifier cette violence, que ce sont des lieux de confrontations physiques", analyse encore Didier Billion.

Et de prévenir : "Il y aura encore de la violence dans ces lieux d’occupation, on ne peut pas la séparer du processus de colonisation".

Des manifestants palestiniens se mettent à l'abri lors d'affrontements avec les forces de sécurité israéliennes à la suite d'une manifestation contre l'expropriation de terres par Israël, dans le village de Kfar Qaddum près de l'implantation juive de Kedu
Des manifestants palestiniens se mettent à l'abri lors d'affrontements avec les forces de sécurité israéliennes à la suite d'une manifestation contre l'expropriation de terres par Israël, dans le village de Kfar Qaddum près de l'implantation juive de Kedu © JAAFAR ASHTIYEH / AFP

Des morts que je qualifie d’assassinats

Est-ce annonciateur d’une nouvelle phase du conflit israélo-palestinien ? Doit-on craindre un soulèvement, une Intifada (en arabe) ? "Rien n’est exclu, mais je ne pense pas", analyse Didier Billion, "parce que la société palestinienne est atomisée, et que sa priorité est sa survie".

"Mais la situation est très inflammable. Cela s’inscrit dans un contexte où il y a eu un grand nombre de morts côté palestinien, au cours de l’année 2022. Des morts que je qualifie d’assassinats, lors d’opérations policières voire militaires, contre des palestiniens désarmés et souvent très jeunes".

Le décompte est parlant : les violences israélo-palestiniennes ont fait 235 morts en 2022, 90% sont des Palestiniens, le plus lourd bilan depuis la deuxième intifada (2000-2005) selon l’ONU. 37 morts pour le seul mois de janvier, dont 7 israéliens.

Une résurgence de la violence en lien avec le nouveau gouvernement

"Il est évident que l’entrée en fonction du nouveau gouvernement est liée à cette résurgence de la violence", analyse encore Didier Billion. "Benyamin Netanyahu est à la merci des ultra-orthodoxes et suprématistes juifs, qui sont des fachistes".

Benyamin Netanyahou a réuni dans son gouvernement deux partis ultra-orthodoxes avec trois formations d'extrême droite, aux côtés du Likoud (droite nationaliste). Un gouvernement qualifié de "gouvernement le plus à droite de l’Histoire d’Israel", qui ne présageait rien de paisible dès l’annonce de sa composition.

Le ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, est celui qui se distingue le plus avec la violence de son programme. Il a obtenu d'avoir autorité sur les forces de sécurité en Cisjordanie. De quoi exacerber la violence. D’autant qu’Itamar Ben Gvir est notoirement raciste. Par le passé, il a été arrêté plusieurs fois, inculpé et condamné pour violence et incitation à la haine.

Autre attribution qui a de quoi attiser le feu : celle qui a été accordée au leader du Parti sioniste religieux, Bezalel Smotrich. Il a la responsabilité des colonies en Cisjordanie - illégales au regard du droit international – où vivent quelque 475.000 Israéliens.

Lui-même colon, il est un grand partisan de l’annexion de la Cisjordanie occupée. Il a le contrôle des organismes qui gèrent les affaires quotidiennes de millions de Palestiniens, sous occupation.

Doit-on s’étonner qu’un renforcement sécuritaire entraine un nouvel embrasement en Cisjordanie et dans les territoires occupés ? "La source de la violence, c’est l’occupation", affirme Ines Abdel Razek.

Le président palestinien Mahmud Abbas, à Paris le 6 juillet 2012.
Le président palestinien Mahmud Abbas, à Paris le 6 juillet 2012. © Tous droits réservés

La question palestinienne n’est plus au centre des préoccupations

Des dizaines de milliers d’israéliens protestent chaque semaine contre ce gouvernement. Mais sans conteste, la population israélienne s’est "droitisée" avec le temps.

"Les Israéliens ont noté que la droite dure avait eu quelques succès diplomatiques, notamment avec les accords d’Abraham, et qu’ils étaient capables de ‘museler’ les palestiniens et de maintenir la sécurité ", analyse Didier Billion. " C’est une illusion, car rien n’est réglé".

Et d’ajouter : "La question palestinienne n’est plus au centre des préoccupations de l’immense majorité des israéliens".

Côté israélien, il n’y plus de "paix", ni de "solution à deux Etats". De facto, Israël est un Etat binational. "Désormais, il n’y a plus de retenue", observe encore Didier Billion. "Les dirigeants israéliens parlent d’annexion et non plus de colonisation et de transfert des palestiniens vers les pays arabes".

Visite d’Antony Blinken

Lors d'une rencontre avec le président palestinien Mahmoud Abbas en Cisjordanie occupée, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a mis en garde contre toute démarche qui compromet la solution à deux Etats, israélien et palestinien.

Il a cité "l'expansion des colonies israéliennes, la légalisation des colonies sauvages (non autorisées par le gouvernement), les démolitions et les expulsions", des politiques des gouvernements israéliens. Antony Blinken a également déploré "un horizon d'espoir qui se rétrécit pour les Palestiniens".

Le but de cette visite était aussi de convaincre Mahmoud Abbas de ne pas mettre fin à la coopération sécuritaire avec Israel, comme il l’avait annoncé.

La veille, lors d'une conférence de presse aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Anthony Blinken avait exhorté "toutes les parties à prendre des mesures urgentes pour un retour au calme et une désescalade".

Sa visite était prévue de longue date mais a pris une tournure différente avec la spirale des violences israélo-palestiniennes ces derniers jours.

Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (l’Institut des relations internationales et stratégiques)
Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (l’Institut des relations internationales et stratégiques) © Tous droits réservés

Les Palestiniens n’attendent rien de l’administration américaine

Que peut faire Washington ? "Les Palestiniens n’attendent rien de l’administration américaine", affirme Ines Abdel Razek.

"Si Washington devait faire quelque chose, ça serait fait depuis longtemps", renchérit Didier Billion. "Ce qui aurait dû être fait, c’est d’imposer des sanctions contre tous ces gouvernements qui ont adopté des mesures contraires au droit international".

Colonisation, annexion, expulsions, démolitions, discriminations… La liste de ces mesures illégales prises par les gouvernements successifs, y compris celui-ci, est longue.

Israël réaffirme sa souveraineté sur "ses terres" et se justifie en répétant qu’il n’y a "jamais eu de Palestine indépendante" et qu’il n’y a "jamais eu d’état palestinien".

Ce n’est pas l’avis de Cour pénale internationale (CPI) qui considère notamment que Jérusalem-Est fait partie du territoire de la Palestine.

Fin décembre, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution – non contraignante - qui appelle Israël à mettre fin aux colonies et qui demande à la Cour internationale de Justice (CIJ) de se pencher sur la question de l’occupation israélienne de territoires palestiniens. Les Etats-Unis ont voté contre.

Le texte exhorte la CIJ à déterminer "les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination". C’est plus que symbolique.

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