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Visite du musée de Kinshasa dans le cadre de la Restitution des œuvres : "La pratique muséale est un processus. Ce n’est pas en un jour que tout peut se faire"

Les deux salles de réserves du musée abritent 12 002 œuvres

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Cet article s'inspire du reportage diffusé dans l'émission 'Transversales' le 17/09 sur La Première

Dans la salle d’exposition temporaire, au rez-de chaussée du musée de Kinshasa, une visiteuse prend plaisir à jouer sur un xylophone en bois. "J’aime bien découvrir la culture de notre passé", s’exclame-t-elle.  "Les arts, les instruments, la manière dont les anciens vivaient… Il y a tellement de choses à découvrir ici. C’est spacieux, c’est très beau. Vraiment, j’aime beaucoup venir ici".

La salle recouverte en bois est climatisée. Au milieu, il y a des bancs. Des instruments de musique sont exposés derrière d’immenses vitrines. "Ici, nous avons des cordophones", explique Placide Mumembele, directeur du Musée National de la République du Congo. "Ce ne sont pas de simples instruments, ce sont aussi des moyens de communication pour transmettre des messages entre deux villages".

Le musée, situé dans la commune de Lingwala à Kinshasa, est un grand bâtiment moderne. Inauguré en 2019, il a été construit par la Corée du sud. Il possède trois salles d’expositions de 6000 m2, deux salles de réserves abritant au total 12 002 œuvres, et un laboratoire de restauration.

Transversales

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Dans l’entrée, le masque Kakuungu de l’ethnie Suku que le Roi Philippe a apporté lors de sa dernière visite en juin au Congo, trône dans un vitrine. "Le chef de l’ethnie Suku et d’autres membres sont venus ici saluer le retour de ce masque au Congo ", se réjouit le directeur du musée. "Cela montre que les congolais sont attachés à leur patrimoine".

Ce masque revenu sur ses terres d’origines est un prêt illimité. "Nous avons signé un accord avec le musée de Tervuren pour que ce masque nous soit restitué sous forme de prêt. La suite dépendra de la manière dont nous allons le conserver".

Placide Mumembele, directeur du Musée National de la République du Congo, dans la sale d'exposition temporaire.
Placide Mumembele, directeur du Musée National de la République du Congo, dans la sale d'exposition temporaire. © Tous droits réservés

Lors de la visite du Roi Philippe au Congo, la loi belge sur la restitution des œuvres proposée par Thomas Dermine (PS), le secrétaire d’Etat chargé de la Politique scientifique n’était pas encore votée. Juridiquement, le retour de ce masque en RDC ne pouvait donc pas être une restitution proprement dite.

"La restitution n’est pas une fin en soi", insiste Placide Mumembele. "C’est le début d’un nouveau processus de collaboration et d’échanges entre un ou plusieurs musées. Nous ne sommes pas dans la logique de vider le musée de Tervuren, pour remplir les musées du Congo", se veut-il rassurant. "Nous continuerons à travailler ensemble avec nos collègues du musée… Cet exemple de retour prouve que c’est possible".

Dans l’entrée du musée, le masque Kakuungu de l’ethnie Suku que le Roi Philippe a apporté lors de sa dernière visite en juin au Congo, trône dans un vitrine.
Dans l’entrée du musée, le masque Kakuungu de l’ethnie Suku que le Roi Philippe a apporté lors de sa dernière visite en juin au Congo, trône dans un vitrine. © Tous droits réservés

La loi qui encadre la restitution de biens liés au passé colonial de la Belgique, a été votée le 29 juin à la Chambre. Cette loi devrait permettre de rendre aliénables, donc restituables juridiquement, tous les biens qui ont été acquis de manière "illégitime" pendant la colonisation. Un comité scientifique mixte analysera les études de provenance et à partir de là, identifier les œuvres qui ont été acquises de manière illégitime, c’est-à-dire dans la violence, dans le rapport de force. Au musée de Tervuren, seulement, plus de 1500 œuvres sont concernées, et potentiellement 40 000.

A la chambre, les avis divergent. Au MR, on s’interroge, le but est-il de vider l’Africa Museum ?

"Le Congo n’est pas prêt à recevoir ces œuvres !", s’inquiète Guylain Luwere. Il est congolais et il se présente comme un lanceur d’alerte. Il précise, " Les 14 musées du Congo ne répondent pas aux normes relatives à la conservation. Les œuvres d’art y sont conservées de manière inquiétante. La Belgique est face à l’histoire ! Elle portera une lourde responsabilité en cas de vol ou de spoliation. Aujourd’hui, si notre patrimoine est connu dans le monde entier, c’est parce qu’il est bien conservé au musée de Tervuren", s’insurge-t-il.

Avant de préciser, "Je ne suis pas contre la restitution mais il ne faut pas se précipiter. Il faut préparer un cadre de restitution, préparer les gens, les former aux métiers de la conservation".

De fait, la question se pose, aujourd’hui de quels moyens la RDC dispose-t-elle pour conserver les œuvres ?

Devant nous, six longues rangées d’étagères à plusieurs niveaux, remplies d’œuvres. Toutes soigneusement alignées les unes à côté des autres. Un véritable trésor.
Devant nous, six longues rangées d’étagères à plusieurs niveaux, remplies d’œuvres. Toutes soigneusement alignées les unes à côté des autres. Un véritable trésor. © Tous droits réservés

Climatisation en panne, insectes, défaut sécuritaire

"Vous devez enlever vos babouches !", ordonne Jean-Marie Konde Kinkela, expert en conservation préventive, avant d’entrer dans l’une des deux salles de réserve du musée. Il a appris le métier en Corée du Sud.

Devant nous, six longues rangées d’étagères à plusieurs niveaux, remplies d’œuvres. Des masques, des statues, des sculptures, des instruments de musiques, des objets coutumiers représentatifs de différentes provinces du pays, datant du siècle dernier ou du 19ème siècle … Tous, soigneusement alignés les uns à côté des autres. Un véritable trésor.

"Cette réserve abrite 9002 œuvres", commence Jean-Marie Konde Kinkela. "Là, ce sont des statues pende, de la province du Bandundu. Ici des statues hamba, de la province du Katanga et ça se sont des nattes du Congo central…", énumère-t-il. "Elles sont protégées de la poussière par du papier polystyrène".

Dans cette réserve, il n’y pas un grain de poussière, pas un gramme de saleté. Le conservateur en chef montre tous les outils d’entretien et de nettoyage : masques, gants, pinceaux à poils durs, pinceaux à poils souples… "Les ennemis des œuvres, ce sont la poussière, les insectes, l’humidité, l’inondation, le tremblement de terre, le feu…", explique-t-il.

Ces œuvres sont contaminées par des insectes. En principe, elles ne devraient pas se trouver là

Jean-Marie Konde Kinkela nous montre un boitier "Testo", un appareil qui mesure la température et le taux d’humidité de la pièce. Et là, dans cette salle de réserve, il fait très chaud, 28 degrés. La climatisation ne fonctionne pas. "Le problème ici, ce sont les coupures électriques à répétition", déplore le conservateur. Les pannes sont récurrentes.

A long terme, les températures élevées ont un effet néfaste sur les œuvres, d’autant plus que cela attire les insectes. "Tous les trois mois, nous pulvérisons des insecticides dans tout le bâtiment", explique encore Jean-Marie Konde Kinkela. Le conservateur montre aussi un appareil "Bio air", capable de piéger les insectes.

Dans un coin de la réserve, Jean-Marie Konde Kinkela montre des œuvres qui ont été restituées par un Algérien. "Elles sont contaminées par des insectes. En principe, elles ne devraient pas se trouver là". Le musée de dispose pas de salle de quarantaine, permettant d’isoler les œuvres contaminées par les insectes. Alors, Jean-Marie Konde Kinkela les met à part, dans la salle de réserve. "Je me limite à faire de la conservation préventive, en attendant que l’équipe de restauration vienne chercher ces œuvres".

Pour assurer la sécurité des œuvres contre le vol, le bâtiment est équipé de quelques caméras de surveillance. Il n’y a pas d’alarme. Le conservateur se veut rassurant : "Le ministère de l’intérieur est situé en face du musée, et cela a un pouvoir de dissuasion non négligeable". Une défaillance pour la sécurité des oeuvres.

Jean-Marie Konde Kinkela, expert en conservation préventive.
Jean-Marie Konde Kinkela, expert en conservation préventive. © Tous droits réservés
Devant nous, six longues rangées d’étagères à plusieurs niveaux, remplies d’œuvres. Toutes, soigneusement alignés les unes à côté des autres. Un véritable trésor.
Devant nous, six longues rangées d’étagères à plusieurs niveaux, remplies d’œuvres. Toutes, soigneusement alignés les unes à côté des autres. Un véritable trésor. © Tous droits réservés

Selle Kanda nous accueille dans le laboratoire de conservation-restauration. Il a étudié la chimie à l’université de Maynooth, en Irlande. Dans cette salle bien équipée, lui et trois collègues sont chargés de restaurer les œuvres détériorées, avant de les renvoyer requinquées dans les réserves ou dans les salles d’expositions.

Selle Kanda sort un vase en bois enveloppé dans des feuilles de papiers de soie. "Il était dans état de délabrement", explique-t-il. "Les insectes ont creusé des galeries".

"Pour le restaurer, nous avons constitué une pâte, formée de résine de bois mélangée avec une solution à base de paraloïde B72 et de l’éthanol. Nous appliquons cette pâte sur les trous. Puis nous appliquons les solutions de retouches avec la couleur adaptée".

Avant tout travail de restauration, Selle Kanda procède au nettoyage des œuvres. Un nettoyage sec ou humide. Pour cela, il dispose d’une machine qui absorbe la poussière et qui rejette l’air souillé à l’extérieur. Deux autres machines servent à éliminer les insectes, l’une en aspirant l’oxygène d’un coffre, l’autre en plongeant l’objet à -42 degrés. Un microscope permet d’identifier les insectes. Dans un coin du laboratoire, un studio photo est installé pour prendre les clichés des œuvres, avant et après restauration.

Dix jours de formation ne suffisaient pas

En 2019, Eric Atwane Kindulu, agent de conservation et restauration à l’Institut des musées nationaux du Congo, ainsi que d’autres agents de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa ont suivi une formation de dix jours, proposée par le musée de Tervuren. "C’était formidable !", s’enthousiasme-t-il. "Cela nous a donné l’occasion d’avoir des arguments solides en matière de conservation et restauration, tant sur le plan théorique que pratique. Mais dix jours ne suffisaient pas. Nous avons réclamé une formation plus longue et récurrente, chaque année… Mais depuis, nous n’avons rien vu venir… Il est vrai qu’entre temps, il y a eu le Covid".

Selle Kanda restaure les pièces en bois dans le laboratoire du musée.
Selle Kanda restaure les pièces en bois dans le laboratoire du musée. © Tous droits réservés

35 à 40 000 œuvres en danger

Aujourd’hui, l’institut des musées nationaux du Congo, situé dans le parc présidentiel du Mont Ngaliéma, abrite entre 35 et 40 000 œuvres dans de très mauvaises conditions sécuritaires et de conservation. Le bâtiment date de l’époque de Mobutu. Ces pièces y sont réellement en danger. Le conservateur se veut rassurant : "Le ministère de l’intérieur est situé en face du musée, et cela a un pouvoir de dissuasion non négligeable".

Le président Félix Tshisekedi a décidé de les déplacer dans un nouvel espace, situé à l’échangeur de Limete, en plein cœur de Kinshasa. Mais à ce stade, ce lieu de substitution n’offre pas de meilleures conditions de conservation et de protection.

Pourtant, ce transfert doit se faire d’une semaine à l’autre. Les œuvres sont emballées, prêtes à partir…

La pratique muséale est un processus

A ce jour, les autorités congolaises, n’ont pas exprimé une demande officielle de retour. Lors de l’inauguration du musée en 2019, le président Félix Tshisekedi a lui-même affirmé que cela allait prendre du temps.

Pour le directeur du musée, Placide Mumembele, il est évident que la restitution doit se préparer. "La pratique muséale est un processus. Ce n’est pas en un jour que tout peut se faire. Nous y travaillons. Et je pense que dans les prochaines années, nous pourrons accueillir ces œuvres".

D’une part, les études de provenance de chaque œuvre en Belgique, pour déterminer celles qui ont été acquises de manière illégitime ou non, et donc déterminer celles qui sont restituables ou pas, s’étaleront sur plusieurs années.

Placide Mumembele se veut constructif. "La question de la restitution nous permet de réfléchir tous ensembles et le musée de Tervuren reste un partenaire privilégié. Encore une fois, le but n’est pas de vider le musée de Tervuren. Les œuvres peuvent circuler, s’échanger entre les musées…".

En 2019, Eric Atwane Kindulu, agent de conservation et restauration à l’Institut des musées nationaux du Congo, ainsi que d’autres agents de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa ont suivi une formation de dix jours, proposée par le musée de Tervuren.
En 2019, Eric Atwane Kindulu, agent de conservation et restauration à l’Institut des musées nationaux du Congo, ainsi que d’autres agents de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa ont suivi une formation de dix jours, proposée par le musée de Tervuren. © Tous droits réservés

D’autre part, le texte de loi fait la distinction entre le transfert juridique (donc la propriété) et le transfert matériel. Toutes les œuvres ne reviendront pas nécessairement au pays d’origine. La RDC peut décider de confier des œuvres qui lui auront été restituées juridiquement, aux musées belges.

Tout ça prendra donc du temps. Le temps nécessaire, espérons-le pour que les 14 musées de la RDC, répartis à travers le territoire, se mettent à jour sur les techniques de conservation et de protection des œuvres.

Il s’agit dès aujourd’hui, au musée de Kinshasa, de maintenir les œuvres à une température autour de 18 degrés et donc assurer l’alimentation continue des appareils électriques. Renforcer la sécurité des œuvres. Octroyer aux agents de conservations-restauration des formations plus longues et en continu. Sensibiliser les publics aux arts et aux musées.

Mais déjà c'est perceptible, les Congolais veulent renouer avec leur patrimoine. En tout cas apprendre à le découvrir, et ça on ne peut que s’en réjouir.

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