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Visite historique du président israélien aux Emirats arabes unis : quels sont les enjeux ?

Le prince héritier d'Abu Dhabi, le cheikh Mohammed bin Zayed al-Nahyan (à droite) reçoit la visite du président israélien Isaac Herzog (à gauche) dans la capitale des Émirats arabes unis, Abu Dhabi. Le 30 janvier 2022.

© AFP or licensors

Par Ghizlane Kounda

C’est une première. Le président israélien Isaac Herzog est en visite aux Emirats arabes unis. Il est accompagné par son épouse Michal. Une visite de deux jours à l’invitation du prince héritier d'Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed. Jamais auparavant un président israélien n’avait foulé ce sol.

Le Premier ministre Naftali Bennett l’avait précédé en décembre pour "approfondir la coopération" entre les deux pays "dans tous les domaines". Le président israélien lui, a une fonction essentiellement honorifique, cérémonielle. Avant son départ, il affirmait apporter "un message de paix pour toute la région".

Une première "historique" donc, qui marque une nouvelle étape dans le rapprochement entre l'Etat hébreu et ce pays arabe du Golfe. Les Émirats arabes unis font partie des quatre pays avec Bahreïn, le Soudan et le Maroc à avoir entrepris de normaliser leurs relations avec Israël sous l’impulsion de Donal Trump, dans le cadre des accords dits d'Abraham signés le 15 septembre 2020.

A peine arrivé, le président israélien a tenu une "réunion de travail" avec le ministre des Affaires étrangères, Abdallah ben Zayed Al-Nahyane. L’objectif est de "renforcer les liens" avec ce pays du Golfe. De quoi s’agit-il ?

La sécurité de la Communauté juive et des Israéliens aux Emirats

"La petite communauté juive présente aux Emirats arabes unis, qui a gagné en visibilité depuis fin 2018, fait d’une certaine manière le lien dans cette dynamique de rapprochement entre les deux pays", souligne David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut des relations internationales stratégiques (IRIS). "Avec en arrière-plan les enjeux stratégiques et sécuritaires. Bien que ces aspects relèvent de la compétence du Premier ministre israélien et ont fait l’objet de discussions étroites lors de la visite de Naftali Bennett en décembre dernier, le président israélien vient appuyer le processus à l’œuvre avec un message résolument œcuménique".

La communauté juive établie dans ce pays arabe de 10 millions d’habitants est estimée à un bon millier de membres. Américains, sud-africains, britanniques, français ou russes, ils viennent de toutes les franges du judaïsme. Jusqu’en 2018, cette communauté n’était encore qu’un groupe informel, qui se réunissait discrètement chaque semaine dans un lieu sûr pour célébrer le shabbat. Des réunions qui n’auraient pas pu avoir lieu sans l’aval des autorités.

Désormais, cette communauté est représentée par deux organismes : le Jewish Council of the Emirates (JCE) et le Jewish Community Center of UAE.

Il y a aussi les touristes Israéliens qui viennent par centaines sur les plages ensoleillées de la pétromonarchie et qui normalisant le port de la kippa dans tous les lieux publics. Dubaï est devenue une destination phare dans le tourisme casher, aux côtés de Miami ou Eilat.

Rien de tout cela n’aurait été possible sans les accords d’Abraham, qui ont officialisé la romance qui couvait depuis longtemps entre Israël et les Émirats arabes unis. Une des pétromonarchies qui cherche à donner l’image d’un pays qui promeut la coexistence pacifique entre les religions. A ce titre, Abu Dhabi devrait bientôt ouvrir une ‘Maison de la famille abrahamique’ qui réunira sur un même site une église, une mosquée et une synagogue.

Le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Cheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyan (Gauche), accueille le président israélien Isaac Herzog et la première dame Michal à leur arrivée dans la capitale émiratie Abu Dhabi, le 30 janvier 2022.
Le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Cheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyan (Gauche), accueille le président israélien Isaac Herzog et la première dame Michal à leur arrivée dans la capitale émiratie Abu Dhabi, le 30 janvier 2022. © Tous droits réservés

Renforcement des liens sécuritaires stratégiques

"L’Iran est une source d’inquiétude régionale commune", explique David Rigoulet-Roze. De fait, Téhéran n’a jamais cessé de menacer l’existence d’Israël. Quant aux Emirats arabe unis, ils ont récemment été visés à Abou Dhabi par une frappe de drones, imputée aux rebelles Houthis depuis le Yémen. Les Emirats Arabes-Unis sont engagés dans une sale guerre au Yémen contre les rebelles Houthis depuis 2015 dans une coalition internationale sous commandement saoudien. Cette attaque à Abou Dhabi, en plein jour, a fait l’effet d’une bombe. "Or on sait que les rebelles houthis qui se sont emparés de la capitale Sanaa depuis fin 2014 en en expulsant le gouvernement loyaliste sont soutenus politiquement et militairement par l’Iran", ajoute David Rigoulet-Roze. "C’est donc un sujet de préoccupation majeure commun pour les deux pays qui conduit à un renforcement des liens, sécuritaires stratégiques".

En novembre, Israël, les Emirats et Bahreïn avaient mené des manœuvres navales pour "améliorer (leurs) capacités collectives de sécurité maritime", l'Iran étant régulièrement accusé de mener des opérations hostiles dans les eaux du Golfe.

"Il y a l’idée sous-jacente de mettre en place, peut-être à terme, une structure sécuritaire intégrée qui inclurait Israël faisant figure de première puissance militaire régionale", explique encore David Rigoulet-Roze. "Une sorte d’Otan régionale qui avait été promue par Donald Trump pour pallier la menace iranienne. Une menace jugée existentielle pour Israël et une menace pour la stabilité des Emirats qui font géographiquement face à l’Iran".

Les Emirats pourraient demander à Bachar El Asad d’exclure les milices pro-iraniennes de son pays

Israël a besoin des Emirats aussi pour écarter la menace iranienne en Syrie, provenant des milices qui se sont battues pendant la guerre civile aux côtés de Bachar El Assad. "Les Emirats veulent faciliter la réintégration à terme de la Syrie dans la ligue arabe, dont le pays avait été exclu en novembre 2011, avec l’amplification de la répression du mouvement de révolte contre le régime. Ce serait une manière de pousser Bachar El Asad à se distancier de Téhéran voire de faire partir les milices pro-iraniennes installées dans le pays à la faveur de la guerre civile syrienne et qui constituent une menace avérée à la frontière israélienne", analyse David Rigoulet-Roze.

La tension régionale s’est accrue, en raison des négociations en cours sur la relance de l'accord sur le nucléaire iranien. Et cela, alors que les récentes avancées en matière d’enrichissement d’uranium de Téhéran inquiètent les experts. Sujet commun d’inquiétude d’Israël et des monarchies arabes du Golfe, qui a fait l’objet de discussions en décembre dernier, entre Mohammed ben Zayed et le Premier ministre Naftali Bennett.

La vente de matériel militaire et de surveillance d’Israël aux Emirats est un facteur de rapprochement majeur entre les deux pays.

Le prince héritier d'Abu Dhabi, le cheikh Mohammed bin Zayed al-Nahyan (Droite), reçoit le président israélien Isaac Herzog (Gauche) lors d'une réception officielle à Qasr al-Watan dans la capitale des Émirats arabes unis, Abu Dhabi, le 30 janvier 2022.
Le prince héritier d'Abu Dhabi, le cheikh Mohammed bin Zayed al-Nahyan (Droite), reçoit le président israélien Isaac Herzog (Gauche) lors d'une réception officielle à Qasr al-Watan dans la capitale des Émirats arabes unis, Abu Dhabi, le 30 janvier 2022. © Tous droits réservés

Intérêts économiques

Plus généralement, souligne David Rigoulet-Roze, "le commerce bilatéral entre Israël et les Emirats s’élèverait aujourd’hui à près d’un milliard de dollars". Depuis la normalisation, les Emirats ont signé une série d'accords avec Israël allant du tourisme à l'aviation en passant par les services financiers et l’approvisionnement en gaz Israélien.

Selon le chef du consulat israélien à Dubaï, environ 200.000 Israéliens ont visité les Emirats arabes unis entre septembre 2020 et septembre 2021 et une quarantaine d'entreprises israéliennes s'y sont déjà installées. En décembre dernier, les Émirats arabes unis, la Jordanie et Israël ont conclu un accord "eau contre énergie solaire".

"Il y a l’idée de développer une économie régionale intégrée qui soit profitable à toutes les parties", observe David Rigoulet-Roze. "Et Pour Israël, c’est particulièrement important puisqu’il s’agit en même temps d’une intégration stratégique à cet espace régional".

La cause palestinienne hors-jeu

Exit donc, la cause Palestinienne. La question juridique concernant le statut de Jérusalem, l’occupation par Israël de la Cisjordanie, de Gaza et du Golan syrien, depuis les guerres des 6 jours et de Kippour, est secondaire par rapport aux impératifs de sécurité. Alors même qu’il s’agit d’une violation du droit international.

Les Palestiniens avaient dénoncé les Accords d’Abraham comme une "trahison", la résolution du conflit israélo-palestinien étant longtemps restée une condition à toute normalisation des relations des pays arabes avec l'Etat hébreu.

Les accords d’Abraham confirment un changement de paradigme au Moyen-Orient où les ennemis d’hier deviennent des partenaires. "C’est une concrétisation pour Israël de son droit à l’existence au niveau régional, en contrepoint de la persistance résiduelle d’un ‘front du refus' associant l’Iran, la Syrie alaouite de Bachar al-Assad, le Hezbollah chiite pro-iranien au Liban et même le Hamas sunnite palestinien à Gaza", analyse David Rigoulet-Roze, tandis que les Palestiniens restent les laissés pour compte.

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