Le Scan : votre smartphone permet-il d'espionner vos déplacements ?
Le Scan
Et si les magasins et centres commerciaux nous espionnaient ? Grâce au wifi et au Bluetooth de nos téléphones portables,...
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Nous sommes rue Neuve à Bruxelles, à l’entrée du City 2. Au-dessus des portes d'accès à la galerie commerçante, un panneau format A4, avec au centre un curieux logo. La plupart des passants ne l'ont pas remarqué.
" Un logo ?" s'interroge ce chaland. "Ah oui, un personnage avec comme des rayons autour de lui ". Cette jeune femme n'a pas vu non plus ce personnage entouré d’ondes, mais elle nous lit l'avertissement : " Votre centre commercial est équipé de solutions technologiques qui détectent le passage de smartphones et autres appareils mobiles dont la fonctionnalité wifi ou Bluetooth est activée. Seule l’indentification unique de l’appareil est collectée et ne permet en aucun cas de vous identifier ou d’accéder aux informations stockées sur votre appareil mobile "
" Ça reste à prouver ! ", tranche une autre dame.
- Vous en doutez ?
" Oui ! Fortement "
- Vous savez à quoi ça peut servir ?
" Pas vraiment "
- Cette technologie permet de capter chacun des téléphones portables pour faire des comptages du nombre de visiteurs dans la galerie
" …nous espionner en quelque sorte. Ha ha ha ! "
En anglais on appelle cela le footfall analytics, l’analyse de la fréquentation.
Nicolas Bocquet est chercheur en sciences politiques à l’UCLouvain :
" Le footfall analytics, c’est l’idée que lorsque vous vous baladez dans l’espace public avec votre smartphone, vous allez souvent oublier d’éteindre le wifi ou le Bluetooth. Or, votre téléphone va émettre sans arrêt une série d’ondes pour se connecter à des modems wifi ou à des enceintes, par exemple, Bluetooth. Et donc lorsqu’on peut analyser le trafic de ces ondes, on peut déterminer de manière extrêmement précise où vous vous situez dans l’espace public "
Alors à quoi sert cette technologie de comptage par wifi dans un espace commercial ? Pour nous l’expliquer, le BOT de la société " Footfall Cam " semble des mieux qualifiés :
" Qu’est-ce que le comptage par wifi ? Chaque mobile envoie un signal wifi toutes les 2 à 8 secondes, même s'il n’est pas utilisé. Footfall Cam collecte tous ces signaux dans un rayon de 100 mètres. Il détecte tous les smartphones qui ne sont pas connectés au réseau wifi du magasin. Chaque smartphone a un numéro d’identification unique. Footfall Cam wifi va alors pouvoir livrer les statistiques suivantes : combien de visiteurs sont-ils déjà venus précédemment ? Combien de temps sont-ils restés dans le magasin ? Combien sont passés devant sans entrer dans votre boutique ? "
C’est l’adresse MAC du téléphone portable qui est détectée, une série de chiffres et de lettres. Tout cela est anonyme, les données personnelles du propriétaire du smartphone ne sont pas identifiées. Dans le respect, nous dit-on, du RGPD.
A ce sujet, une autre passante s’interroge :
" Avec tout ce qui est wifi et smartphone, ils vont faire le tri de tout ce qui est personnel et de ce qui n’est pas personnel ? "
- Vous saviez qu’il y avait ce genre de technologie à l’intérieur du City2 ?
" Non je découvre "
Par triangulation, chacun des téléphones portables présents dans la galerie commerciale est donc précisément localisé. De quoi détailler le comportement des clients sur un lieu de vente. Nicolas Bocquet évoque d’ailleurs des comportements très précis :
" Tout un chacun est tracé de cette manière-là. On peut déterminer finalement devant quelle veste vous êtes resté le plus longtemps, devant quelle paire de chaussures, etc. C’est vraiment une technologie qui est en train de se développer énormément "
Et si vous êtes restés un moment devant cette paire de chaussure ou cette veste, la technologie est parfois déjà en mesure de pousser via Bluetooth, vers votre téléphone, une publicité ciblée, une promotion. D’autres applications très concrètes de cette technologie sont aussi soulignées par notre expert : " Alors évidemment ça va vers la question plus large du "capitalisme de surveillance". C'est l'idée qu’on veut pouvoir vous vendre cette veste si on sait que vous êtes attiré par cette veste. Et si on arrive à vous matraquer plusieurs fois avec de la publicité ciblée pour cette veste ou une veste très proche, il y a des chances très importantes que vous finissiez par acheter cette veste. Donc c’est évidemment un enjeu économique. Ce qui est aussi intéressant, c’est que c’est utilisé aussi pour changer les loyers à l’intérieur même du magasin, étant donné qu’on peut modéliser très précisément les parcours des gens dans le magasin. On peut aussi savoir finalement, ben, peut-être que le magasin au 3e étage dans un coin est moins visité que le magasin en bas. Et donc on peut faire fluctuer le loyer vis-à-vis des commerçants à l’intérieur même du centre commercial "
Le panneau à l’entrée des galeries du City2, placé à plus de 2m50 de haut, sert en tout cas d’avertissement, quand les clients du centre commercial arrivent à le voir, bien sûr…
" Je trouve ça très mal renseigné. C’est d’ailleurs derrière un poteau, en plus. Donc vous rentrez dans le magasin, on ne voit rien. Ha ha ha ! ", déclare le premier passant.
" C’est trop haut. On ne sait pas lire, hein ! Ils auraient dû mettre les panneaux sur les portes d’entrée peut-être ", enchaine la seconde.
Nicolas Bocquet, chercheur en sciences politiques à l’UCLouvain précise, " Vous ne pouvez pas refuser, la seule chose que vous pouvez faire, c’est couper votre Bluetooth, votre wifi. Mais si vous ne le faites pas, en fait, le fait que vous entriez dans le magasin, signifie que vous consentez à être tracé de cette manière-là "
Mais dans la plupart des centres commerciaux aujourd’hui un wifi gratuit est proposé aux visiteurs. En se connectant à ce wifi gratuit, le visiteur ouvre également le verrou posé sur ses données personnelles. Le tout est alors mis en relation avec le dispositif de footfall analytics.
" Transformez votre " wifi invité " en un formidable outil marketing. Et métamorphosez un simple visiteur en client fidèle " annonce la publicité ! Voici comment ça marche : le visiteur se connecte au réseau wifi de la galerie, en utilisant ses réseaux sociaux, son profil Facebook, Instagram ou Twitter. Tous les réseaux sociaux sont pris en charge. Il peut aussi se connecter en remplissant le formulaire en donnant son adresse électronique. La première connexion sera suffisante pour être identifié de manière permanente sur la plateforme. Vous aurez alors le nom du visiteur, ses données démographiques, comme son âge, son genre, ses centres d’intérêts, toutes ses habitudes de visites. Vous serez en mesure de comprendre qui sont vos visiteurs et ce qui les intéresse "
Cette société américaine résume les possibilités offertes par le système de suivi en profondeur des visiteurs en un slogan simple :
" C’est comme du profilage sur le web mais dans la vie réelle "
Depuis peu, le "footfall analytics" est couplé à des capteurs 3D à la vision stéréoscopique. Leur précision dépasse 99%. Ils peuvent même distinguer le genre des visiteurs, différencier les adultes des enfants. Voir ceux qui portent un masque et ceux qui ne respectent pas les distances sanitaires.
L’analyse du comportement commercial d’un visiteur peut très vite se muer en dispositif de contrôle des foules.
Les algorithmes cadenassent nos choix. Les data brokers siphonnent en permanence nos identités numériques. Les cookies nous imposent de troquer nos anonymats pour une publicité mieux ciblée. Les logiciels espions nous observent. Dans 10 ans, les géants du web, les GAFAM, auront probablement collecté à propos de chacun d’entre nous plus de 70.000 points d’information. Sans que nous en ayons forcément conscience… Pour l’instant nous laissons faire, jusque quand ? Une série sur les derniers échos du concept de vie privée réalisée par Régis De Rath, à écouter sur Auvio.
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