A l’heure où les algorithmes cadenassent nos choix, où les datas brokers siphonnent nos identités numériques et où les cookies nous imposent de troquer nos anonymats pour une publicité mieux ciblée, une autre réalité a refait surface au cœur de l’été. Celle des logiciels espions qui sans relâche, scrutent le contenu des smartphones.
Un scandale cyber-technologique qui a mis en évidence le logiciel Pegasus de la firme israélienne NSO. Il aurait espionné 50.000 téléphones, dont ceux de personnalités politiques comme Emmanuel Macron, Charles Michel ou encore le roi Mohammed VI.
"Pegasus" attaque en masse
Plus redoutable qu’un cheval de Troie, Pegasus, ce logiciel espion place sur écoute des journalistes, des militants des droits humains, des chefs d’entreprise, ou encore des hommes politiques.
Votre téléphone peut vous surveiller en permanence
Tout y passe : vos photos, vos vidéos et vos messages, y compris ceux qui sont officiellement cryptés, comme avec Signal ou WhatsApp. Le micro et la caméra peuvent être activés par le programme espion en permanence. "Le logiciel Pegasus permet de prendre le contrôle total du smartphone", affirme le professeur de cryptographie à l’UCLouvain, Jean jacques Quisquater. La nouveauté, ce sont ces attaques dans le domaine civil, de manière très furtive et de disparaître complètement sans être détecté."
Les services de renseignements belges utilisent-ils ce type de logiciel ?
Rencontre avec le président du Comité R (le comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité), Serge Lypszic.
Dès notre arrivée, il place soigneusement son téléphone portable dans une petite boîte. "C’est une cage de Faraday, explique-t-il, un moyen utilisé notamment pour empêcher que les ondes électriques ne transforment le smartphone en micro. Même dans son bureau, il se protège des oreilles extérieures : "Les espions existent depuis la nuit des temps. Ils existaient déjà à Rome. Ils sont juste devenus plus techniques et s’adaptent à l’évolution. Il y a quelques années, on utilisait des micros, aujourd’hui on tente d’entrer dans votre smartphone avec la même logique : le savoir, la connaissance de ce que peut penser l’autre."
Le comité R a ouvert une enquête fin juillet pour établir si nos services secrets sont dotés de la technologie NSO : "Ces logiciels existent et ils sont nombreux sur le marché. L’enquête dira si les services ont pu les acquérir, s’ils les utilisent et dans quel cadre. Puis, nous en vérifierons la légalité ".
Les résultats de l’enquête sont attendus pour janvier prochain mais rien n’exclut l’usage de ces logiciels espions par les services de renseignements ou de police belges.
"Une bonne conversation se fait entre quatre yeux"
"Bon nombre de puissances étrangères ont les mêmes logiciels et les utilisent avec la même discrétion pour obtenir un maximum d’informations, que ce soit en masse ou de manière individuelle."
Pourtant, les dirigeants de certaines nations se montrent encore trop naïfs : "Ils devraient être plus prudents et mieux se protéger. Une bonne conversation se fait entre quatre yeux. Aujourd’hui, le smartphone n’est plus un outil sécurisé", conclut le président du comité R.
Qui sont les clients de NSO ?
NSO est présent chaque année au salon Milipol, bien connu des professionnels de la sécurité et de la surveillance. Ses clients : des armées, des gouvernements mais aussi sans doute des mafieux qui font pression pour s’approprier ce type de technologie. "La responsabilité et la question de savoir à qui vendre ou pas ce type de logiciel est entre les mains de NSO", affirme Charles Cuvelier, expert en cyber sécurité.
Le professeur de l’ULB y va de cette comparaison : "On trouve normal d’avoir un contrôle à l’exportation des armes. Cette question revient régulièrement à la FN Herstal : à qui vendre ou ne pas vendre ? Qu’est-ce qui empêche le gouvernement Israélien de faire de même avec NSO qui d’ailleurs, met en avant la lutte contre le terrorisme ? Jusqu’où est-on prêt à aller ?"
"Les services secrets russes sont revenus au papier "
Comment faire pour éviter ces oreilles et ces écoutes de logiciels espions ? "Figurez-vous que ces cibles potentielles utilisent des GSM tout simples qui ne servent qu’à téléphoner, comme un Nokia bas de gamme du siècle passé ", explique Jean-Jacques Quisquater, qui plaide pour un retour à des technologique beaucoup moins évoluées. "Il faut savoir que les services secrets russes sont revenus au papier pour beaucoup de choses".
De la surveillance de ses enfants à celle de ses employés, il n’y a qu’un pas
"Un énorme marché de l’espionnage est en train de se créer. Avec les outils d’aujourd’hui, on peut très bien imaginer avoir son petit réseau d’espionnage. Par exemple, il existe des logiciels pour surveiller ses enfants. Et même si ce n’est pas très légal, on peut aussi imaginer que certaines sociétés espionnent leurs employés grâce au smartphone qu’elles leur fournissent", conclut Jean-Jacques Quisquater.