Monde

Vodka, datchas et tsarina : un média russe indépendant révèle les dessous de l’empire de Vladimir Poutine

© Проекте

Par RTBF

Le magot de Poutine, ses revenus mirobolants tirés du vice favori des Russes, la vodka, la maîtresse de Vladimir Vladimirovitch, une célèbre gymnaste surnommée "la tsarine", des datchas et des penthouses de luxe, un train privé et des gares secrètes : le média indépendant d’investigation en ligne Proect ("Проект", soit "projet" en russe) déroule un scénario digne d’un roman.

Des révélations qui sont cependant étayées par une enquête, de nombreux témoignages et des documents, présentés par le média indépendant mais que nous n’avons pas pu entièrement vérifier. Le tout basé sur des accusations lancées par l’opposant emprisonné en Russie, Alexeï Navalny, et vérifié par l’équipe de Proekt formée autour de son fondateur Roman Badanin.

Voici donc un condensé de l’enquête de Proekt qui balance entre les Panama Papers et Gala. Elle est intitulée "Iron Masks" ("Les masques de fer", une référence au mystérieux prisonnier embastillé sous Louis XIV) et publiée fin février.

Un empire d’hommes de paille

Le premier reportage se concentre sur la fortune de Vladimir Poutine. Un empire d’hommes de paille. Une usine à prête-noms. Avec au centre une société basée à Chypre, Ermira. Ceux qui parlent à Proekt trahissent un secret car ils sont contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.

L’enquête part d’un certain Vladislav Kopylov, un avocat devenu entrepreneur et florissant homme d’affaires entré en contact avec le cercle intime du président russe au début des années 2000. A la tête d’une société plus grande que ses ambitions, actif dans les médias et le caritatif, l’homme offre une parfaite façade au business mené selon Proekt pour le compte de Poutine. La structure est complexe : l’avocat représente deux des hommes liges de Poutine. Sa récompense : un appartement à Saint-Pétersbourg, port d’ancrage du clan du président.

Selon un témoin contacté par Proekt, le vrai propriétaire d’Ermira est bien le président Poutine. "Payer via Ermira" est la formule consacrée pour demander un transfert, parfois en liquide, au départ des comptes de la société ou de ses actionnaires ou salariés. Parmi ceux-ci, beaucoup de proches de Poutine.

La vodka du maître du Kremlin

Tout un chapitre de l’enquête est consacré à la vodka "Putinka" lancée en 2002 par la société Winexim et une des plus populaire du marché russe jusqu’en 2016. Une période qui a aussi vu le nombre de décès liés à l’alcoolisme augmenter en Russie, souligne Proekt (avec un pic de 17 litres de vodka par an par habitant en 2005 et un abaissement du prix minimum de vente au détail incohérent avec la politique de lutte contre l’alcoolisme mais sensé faire reculer l’alcool de contrebande).

Un expert en marketing de Winexim a inventé le nom, non sans demander l’autorisation au président qui, selon Proekt, a ainsi pu s’inviter dans l’actionnariat de la société qui a ensuite été versée dans la galaxie des entreprises proches du Kremlin. Avec un beau retour : de 400 à 500 millions de dollars de bénéfices entre 2004 et 2009, selon Proekt.

La gamme de vodka Putinka
La gamme de vodka Putinka © Проект

Incidemment, la vodka Putinka s’est muée en propagande électorale : en 2008 quand Vladimir Poutine devient Premier ministre, elle devient Putinka Ministerial et en 2012 en vue de l’élection présidentielle où il se représente, une chaîne de supermarché la met en promotion avec une réducition de 27% jusqu’au jour du scrutin.

Jusqu’ici, un nom revient immanquablement dans toutes ces entreprises, celui d’Arkady Rotenberg. C’est aussi lui qui dira, après la révélation en 2021 par Alexeï Navalny du palais de Poutine au Cap Idokopas près de Sotchi au sud de la Russie sur la mer Noire qu’il en est le propriétaire, pour dédouanner le président. Cet exemple n’est qu’un parmi d’autres des transactions immobilières autour de la famille Poutine.

Cap Idokopas
Cap Idokopas © Alexei Navalny’s team

Un autre bijou de la couronne serait, selon l’enquête de Proekt, le "National Media Group" (NMG) chargé "de laver le cerveau des Russes", affirment plusieurs sources.

Ermira en détient des parts, jusqu’à 24% en 2009, et la société rapporte aussi pas mal d’argent. Enfin, une administratrice de NMG tient une grande place dans la vie personnelle de Vladimir Poutine, affirme Proekt. C’est Alina Kabaeva, gymnaste médaillée, élue à la Douma… et surtout très proche du président.

Le président et la gymnaste 

La deuxième enquête publiée par Proekt se lit comme un catalogue immobilier pour nouveaux riches agrémenté de références aux cours médiévales où le souverain entretenait sa favorite dans des châteaux et des pavillons de chasse.

Le récit démarre à Sotchi où Vladimir Poutine a ses habitudes, tant dans sa résidence officielle en ville que dans son refuge secret du Cap Idokopas. Il y profite du climat subtropical. En 2011, c’est le rêve olympique et le boom immobilier sur les rives russes de la mer Noire. Et cela concerne aussi l’entourage de celui qui était encore Premier ministre mais qui venait d’annoncer qu’il briguait à nouveau la présidence.

Le “Royal Park” à Sotchi sur Kurortny Prospekt
Le “Royal Park” à Sotchi sur Kurortny Prospekt © Проект

Le domaine des dieux

Des appartements de tout grand luxe, des penthouses, changent de main. Quatre au total, tous sur l’avenue Kurortny, notamment au Royal Park, un immeuble résidentiel très chic.

Une superficie de 2600 m2 au 18ème étage avec vue incroyable, salons en enfilade circulaire, 20 pièces, gallerie d’art, bar, sauna et hammam, spa, piscine, terrasses avec pavillons, cinéma, salle de billard, patio, héliport : il est considéré comme le plus grand appartement de Russie. Autant de luxe ne peut convenir qu’à une reine, une tsarine, et selon Proekt, son nom est Alina Kabaeva, que le média n’hésite pas à comparer à une souveraine du moyen-âge. Une souveraine qu'il faut couvrir de cadeaux...

Vladimir Poutine remet l’Ordre du Mérite pour la Patrie à Alina Kabaeva en 2005
Vladimir Poutine remet l’Ordre du Mérite pour la Patrie à Alina Kabaeva en 2005 © kremlin.ru

Après sa brillante carrière de gymnaste couronnée de médailles olympiques et de titres russes, européens et mondiaux mais entâchée d’affaires de dopage, ambassadrice de la marque Longines, la jeune femme née en 1983 fait de la politique au sein du parti de Poutine, Russie Unie : elle siège notamment deux ans à la Chambre et à la Douma d’Etat.

Elle est considérée à partir de 2008 comme la compagne du président russe de trente ans son aîné ainsi que la mère de plusieurs de ses enfants, deux ou trois voire quatre, car elle s’affiche alors à son bras lors de dîners et cérémonies officielles. Leur nombre et leur âge (mineur) n’est pas communiqué. Les intéressés ont toujours démenti tout cela, et Alina Kabaeva est toujours restée ultra-discrète, surtout sur cette relation, et à l’écart des caméras à l’exception d’un clip vidéo dont est tirée l’image ci-dessous et où la jeune femme apparaît presque comme la nouvelle First Lady russe.

Un extrait de la vidéo de 2011 d’Alina Kabaeva
Un extrait de la vidéo de 2011 d’Alina Kabaeva © Проект

L’investissement à Sotchi est réalisé par des prête-noms, on retrouve Ermira et Arkady Rotenberg, mais est fait en faveur de celle qu’on appelle "la gymnaste". Sur les actes officiels, c’est le nom d’un magnat de la presse proche de Poutine, Oleg Rudnov, aujourd’hui décédé, qui apparaît… Pour d’autres appartements dans le même immeuble, c’est le nom de la grand-mère d’Alina qui est utilisé.

Grâce à une fausse manoeuvre d’agent immobilier, les photos de l’appartement d’Alina Kabaeva se sont retrouvées sur le net, affiché au prix de 15 millions de dollars. En voici une sélection.

Du marbre partout
Une salle de cinéma recouverte de bois précieux
Le penthouse d’Alina Kabaeva à Sotchi
Une cheminée avec vue sur mer

Cet appartement royal s’accompagne de deux autres deux étages plus bas pour le personnel de maison, ce sont ceux qui sont enregistrés au cadastre sous le nom de la grand-mère d’Alina Kabaeva. Tous trois semblent avoir été achetés largement en dessous des prix du marché, via Oleg Rudnov avec des fonds en provenance d’Ermira, écrit Proekt.

Le journaliste de Proekt s’est fait dire par des agents immobiliers que bien qu’ils soient officiellement inscrits au nom d’un autre propriétaire, ils appartiennent bien à Alina Kabaeva, un argument à prendre avec des pincettes car la dame se fait rare à Sotchi ces dernières années… Proekt va même plus loin en calculant l’ensemble du parc immobilier de la tsarine de Russie à 120 millions de dollars, une estimation impossible à vérifier.

Conclusion de Proekt : c’est une façon d’investir de l’argent d’origine douteuse…

Dames de compagnie, sage-femmes et nounous

Proekt a du mal à prouver la relation entre Vladimir Poutine et Alina Kabaeva. Tous ses témoins, d’actuels ou d’anciens responsables russes, bottent en touche : ils n’ont jamais vu le couple ensemble, ni en public ni en privé. Mais tous admettent n’avoir aucun doute sur l’existence de la relation.

Ce sera difficile d’écrire l’histoire sur base de ces présomptions, mais pour Proekt, il y a une explication : la relation est tellement top secret que seuls les plus hauts gradés du service de sécurité FSO sont au courant.

Restent quelques photos pour étayer la théorie du couple, voire de la famille Poutine-Kabaeva. Celles de médecins suisses spécialisées dans les accouchements présentes à la tribune d’honneur place Rouge à Moscou, preuve de naissances dans l’entourage proche de Poutine selon Proekt. Des chaperonnes, des dames de compagnies qui font aussi office de garde-enfants, comme celles-ci dessous, entourant Alina Kabaeva à un vernissage.

Alina Kabaeve et ses dames d’honneur
Alina Kabaeve et ses dames d’honneur © Проект

Proekt tente de conforter la faiblesse de ces preuves par des relevés de voyages en train pour plusieurs de ses dames de compagnies. Des voyages qui nous mènent à l’étape suivante, loin des rivages ensoleillé de Sotchi, dans le nord de la Russie.

Dans la datcha de Poutine

L’endroit s’appelle Valdai, sur un lac, dans l’oblast de Novgorod, à mi distance entre Saint Pétersbourg et Moscou. Vladimir Poutine adore l’endroit. C’est là qu’il y a sa datcha. Et c’est aussi ici que les découvertes présentées par Proekt s’enchaînent.

La datcha de Poutine
La datcha de Poutine © Проект

Des découvertes faites aussi par un autre média russe d’investigation, RBC qui révèle comment l’entourage de Poutine s’est installé dans la région de Valdai qui est aussi un parc naturel national. Cela n’a pas empêché la construction de quelques résidences secondaires pour VIP.

Ici, la discrétion est de mise, à l’exception de quelques événements musicaux, comme en 2009 avec Björn Again, le cover band d’Abba… Mais un des bâtisseurs de la datcha de Valdai a divulgué ces photos à Proekt.

Des chandeliers français
De l'or à profusion
Le salon
Une salle à manger de Poutine
Autre salle à manger
Un piano dans la datcha

Un décor somptueux, que Poutine a commandé en demandant quelque chose qui ressemble à Saint-Pétersbourg. Visiblement les architectes ont pris l’Ermitage comme référence. L’or, l’acajou et le verre ciselé sont partout. Au sous-sol, piscine et sauna. Assez de chambres aussi pour le président et sa famille. Mais avec Lyudmila, c’est chambre séparée. Le couple a divorcé en 2013.

Comme il n’était pas imaginable d’accueillir la nouvelle compagne du président dans cette datcha, il a fallu en construire une autre, à 800 mètres à peine en 2020.

Le domaine se complète par d’autres résidences de proches et un curieux musée des cadeaux offerts au président, à l’architecture résolument contemporaine, qui abrite notamment deux Mercedes, une voiture et un vélo. Une sorte de musée privé dont le propriétaire pourrait utiliser les pièces, selon Proekt, ici encore difficile de vérifier.

Mais le média note la présence supposée d’enfants sur ces terres : des terrains de jeu grand format sont aménagés, de même qu’une petite piste de go-kart.

Protection par missiles et gare privée

Les révélations de Proekt se terminent par la photo d’une batterie de missiles antiaériens Pantsir-S1 et celles de gares privées, à Valdai mais aussi à Sotchi, Novo-Ogaryovo près de Moscou et dans la capitale : comme d’autres avant lui, Vladimir Poutine semble aimer se déplacer en train blindé.

L’occasion ici, pour le rédacteur et fondateur de Proekt Roman Badanin de se lancer dans une comparaison avec Brejnev, Staline et Kim Jong Il…

Roman Badanin compare Poutine à Staline
Roman Badanin compare Poutine à Staline © Проект

Preuve de cette assertion, la photo d’un train (mais est-il blindé ?) qui transporterait le président de Moscou à ses résidences où des voies de raccordements aboutissent avec des gares privées que l’on voit sur photos et vues satellites.

La lecture de ces articles soulève bien des questions auxquelles il est difficile de répondre. Proekt affirme avoir toutes les preuves de ce qu’il avance mais doit reconnaître que bien des portes se sont fermées face à ses demandes, notamment chez les médecins suisses qui suivraient Alina Kabaeva et dans tout l’entourage du président russe, de ses proches aux banques en passant par les sociétés citées. A suivre donc…

Le reportage de Proekt en vidéo (sous-titres anglais)

Loading...

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous