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Volées par les nazis, des peintures sont restituées à la Pologne par un musée espagnol

La Vierge en deuil et l'homme des douleurs de Dieric Bouts. Ce diptyque avait été pillé par les nazis durant la Seconde guerre mondiale.

© Heritage Images via Getty Images

Un musée espagnol a rendu mercredi deux joyaux de la peinture du 15e siècle à la Pologne. Elles avaient été pillées par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. Quand ces œuvres représentant le Christ et la Vierge avaient été réclamées en 2020, le musée a immédiatement fait le choix de les restituer. La procédure a pris deux longues années le temps de remplir toutes les formalités administratives. Un happy-ending improbable, puisqu’il est généralement difficile de retrouver la trace des nombreuses œuvres pillées par les nazis.

C’est dans une ambiance solennelle qu’a eu lieu la restitution, au musée de Pontevedra (Galice), en présence de la ministre de la Culture polonaise. Les peintures ont été soigneusement décrochées des murs et emballées, sous le regard ému du directeur du musée, Xosé Manuel Rey. "Nous sommes attristés par le départ de cette œuvre du musée. Pour nous, elle était très importante, mais nous aurons la satisfaction de pouvoir continuer à l’apprécier dans un autre musée, même à des milliers de kilomètres."

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Le pillage de tableaux, un commerce lucratif

En mars 2020, le musée de Pontevedra reçoit un appel surprenant. Le gouvernement polonais réclame deux peintures reconnues via une publication Facebook. Attribuées au peintre louvaniste Dieric Bouts (1415-1475), elles auraient été volées à une famille d’aristocrates polonais par les nazies durant l’occupation. Après vérification, on les attribue finalement à un des élèves du maître flamand. Quoi qu’il en soit, ces tableaux d’un grand intérêt artistique auraient un prix estimé à 15.000 euros chacun. Le diptyque, – une œuvre composée de deux tableaux complémentaires – représente un "Ecce homo", un Christ avec sa couronne d’épine, et une "mater dolorosa", un portrait de la vierge en prière. Deux thèmes récurrents dans la peinture du 15e siècle. Les mesures sont prises par le musée pour restituer l’œuvre au plus vite, comme le veut une directive du Conseil européen datant de 2015.

À aucun moment nous n’avons eu le moindre soupçon qu’ils avaient une telle origine.

Il n’est pas aisé de retracer le parcours parfois rocambolesque des peintures pillées par les Allemands durant la seconde guerre mondiale. Surtout si celles-ci sont vendues dans le commerce clandestin ou scellées dans des collections privées, rappelle un article de nos confrères de la radiotélévision espagnole. Le pillage était un commerce juteux mené à grande échelle par les nazis. Souvent volées ou achetées à bas coûts, le nombre d’œuvres manquantes dans les collections polonaises s’élèverait à 516.000, d’après la ministre de la Culture polonaise.

Cachés dans les murs d’un palais puis vendus par un banquier nazi

Les propriétaires de ce diptyque, la riche famille Czartoryski, possédaient plus de 2000 œuvres avant l’occupation allemande en Pologne. Parmi elles, rien de moins qu’un tableau de Léonard de Vinci, la "Dame à l’hermine", qui servira de décoration dans le bureau du gouverneur nazi de Pologne. Connaissant les risques de pillages, les Czartoryski cachent alors certains de leurs tableaux dans les murs de leur palais. Parmi eux, le diptyque. Hélas, ce n’était pas suffisant pour déjouer le flair des nazis. Après sa spoliation, l’œuvre a manifestement changé de mains plusieurs fois avant de se retrouver dans celles du banquier Alois Miedl, qui officiait comme marchand d’art pour les haut gradés nazis.

Le trajet qu’aurait ensuite suivi l’œuvre est assez flou. Elle aurait été transférée en Espagne via le commerce clandestin, et serait réapparue en 1973 dans une galerie madrilène. En 1994, le musée de Pontevedra la rachète au collectionneur José Fernández López. "Nous étions des acheteurs de bonne foi, à aucun moment nous n’avons eu le moindre soupçon qu’ils avaient une telle origine", avait déclaré son directeur en 2020. Deux ans plus tard, lors d’un discours à la presse durant la cérémonie de restitution, le maire de Pontevedra Miguel Anxo Fernandez Lores se montrait fier de cette restitution. "C’est un processus pionnier qui pourrait servir de feuille de route à d’autres institutions en Europe".

Car l’Allemagne n’est pas le seul pays à avoir pratiqué la spoliation d’œuvres d’art à grande échelle. Les anciens pays coloniaux ont eu quelques embarras à ce sujet. Parmi eux, la Belgique semble s’être démarquée avec une approche novatrice formulée en 2021 par le gouvernement. Le ministre fédéral chargé de la politique scientifique Thomas Dermine assurait ainsi avec fermeté que "les objets qui ont été acquis de façon illégitime par nos grands-parents, arrière-grands-parents ne nous appartiennent pas. Ils appartiennent au peuple congolais." Le contexte est différent biens sûr, mais l’exemple hispano-polonais montre que le processus de restitution peut se faire en toute amicalité.

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