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Volodymyr Zelensky à Bruxelles après Londres et Paris : quelles stratégies derrière cet agenda ?

Emmanuel Macron a accueilli le Président ukrainien à Paris, avant qu’il ne se rende au sommet européen à Bruxelles.

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Quand, fin décembre, Volodymyr Zelensky est sorti d’Ukraine pour la première fois depuis le début de la guerre, il s’est rendu à Washington, aux États-Unis. Et maintenant que le président ukrainien mène, à nouveau, une visite hors de son pays en guerre, il choisit d’abord un passage à Londres, puis à Paris et enfin à Bruxelles.

Rien n’est laissé au hasard lors de ces déplacements diplomatiques et celui-ci intervient dans un moment clef de la guerre en Ukraine. Cet ordre a forcément du sens. Lequel ?

D’abord à Washington

En décembre, Volodymyr Zelensky passait sans transition du front à la Maison blanche, des combats aux ors du Congrès américain. Il dédia à Washington sa première visite hors d’Ukraine après 300 jours de guerre, et pour cause : les Etats-Unis ont été chefs de file de la riposte internationale, pourvoyeurs de fonds et d’armes avec une fluidité que l’Union européenne n’a pas atteinte.

Le choix de cette première escale est logique pour le président ukrainien, résume le professeur de droit international à l’ULiège Franklin Dehousse, ce jeudi matin sur la RTBF : "Après un an, l’Ukraine est dépendante de ses alliés pour les stocks d’armements. Elle doit s’assurer un flux d’armes continu et efficace, ce qui n’est pas simple. Et régulièrement, l’Europe a un peu traîné : […] 'doit-on leur envoyer des fusées de moyenne portée ?' Puis 'doit-on leur envoyer des chars ?' ...  Il y a toujours un réflexe un peu arthritique du côté européen, alors que les Américains n’arrêtent pas d’envoyer des choses, tous les 15 jours."

À l’heure de toucher le tarmac américain, le président ukrainien avait déjà bénéficié d’un soutien de 50 milliards de dollars des Etats-Unis pour son pays face à l’invasion russe, dont 20 milliards en armement et assistance militaire. Et Volodymyr Zelensky avait quitté le territoire américain avec une promesse de nouvelle enveloppe.

Au moment de cette visite américaine, l’Union européenne aussi avait déjà largement ouvert son portefeuille ainsi que ses portes aux réfugiés ukrainiens. Et les dirigeants européens avaient également manifesté leur volonté d’accueillir Volodymyr Zelensky. Ce serait pour sa prochaine sortie.

Le Royaume-Uni avant l’Union européenne

Mais quand, cette semaine, Volodymyr Zelensky est une nouvelle fois sorti d’Ukraine, il a d’abord atterri au Royaume-Uni. Londres, plutôt que Bruxelles.

Sur le seuil du 10 Downing Street à Londres, le Premier ministre britannique Rishi Sunak accueille le Président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Sur le seuil du 10 Downing Street à Londres, le Premier ministre britannique Rishi Sunak accueille le Président ukrainien Volodymyr Zelensky. © AFP – DANIEL LEAL

"C’est une séquence qui a sa logique" explique le diplomate Raoul Delcorde, ancien ambassadeur belge, interviewé dans Déclic. Volodymyr Zelensky a, à nouveau priorisé le contact avec un Etat qui a marqué un soutien de la première heure.

"Boris Johnson, alors Premier ministre, avait été le premier chef de gouvernement occidental à se rendre, en avril 2022, à Kiev. Et l’effort des Britanniques pour soutenir l’Ukraine est conséquent" rappelle Raoul Delcorde.

"Ceux qui ont fourni le plus d’aide militaire et depuis le plus longtemps à l’Ukraine, ce sont les États-Unis et à sa mesure, le Royaume-Uni" abonde Frédéric Mauro, avocat spécialiste des questions de défense européenne. "L’itinéraire de Zelensky est dicté par l’urgence devant la situation militaire qui est critique, il faut bien le dire. Donc il fait feu de tout bois et il se tourne nécessairement vers les pays qui l’ont soutenu les premiers."

Frédéric Mauro donne l’exemple de la réponse à la demande ukrainienne de disposer de chars lourds.

"Regardez l’affaire des chars 'challenger' et 'Leclerc': le Royaume-Uni et la France sont dans des situations comparables. Ils ont, à l’unité près je pense, à peu près le même nombre de chars. Sauf que le Royaume-Uni a dit : 'j’envoie rapidement et avant tout le monde 14 chars lourds'. La France n’en a pas fait autant. On parle aussi beaucoup d’avions de combat. Le Premier ministre au Royaume-Uni a déclaré tout récemment qu’il était prêt à former des pilotes de chasse ukrainiens. Donc c’est tout à fait normal que le président ukrainien aille d’abord au Royaume-Uni."

Paris avant Bruxelles

Volodymyr Zelensky a quitté Londres pour l’Union européenne ce jeudi. Mais toujours pas pour Bruxelles et ses institutions européennes : il a fait un crochet par Paris pour y rencontrer Emmanuel Macron, le président français et Olaf Scholz, le Chancelier allemand.

En amont du sommet de Bruxelles, la rencontre de Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron et Olaf Scholz à Paris.
En amont du sommet de Bruxelles, la rencontre de Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron et Olaf Scholz à Paris. © AFP – SARAH MEYSSONNIER

Rencontre, conférence de presse commune, puis dîner en petit comité à quelques heures du sommet européen. Et c’est avec Emmanuel Macron que le président ukrainien a atterri à Bruxelles.

Dans cette itinérance diplomatique où tout est symbolique, l’image est forte du président français qui convoie son homologue ukrainien vers les institutions européennes comme s’il en était le leader. Et la visite aux institutions européennes apparaît dès lors comme une visite de conclusion.

Ce passage par Paris ponctue un changement de ton de l’Elisée qui plaidait l’an dernier pour maintenir les canaux de communication ouverts avec la Russie. Un changement dont Volodymyr Zelensky prend acte dans ce commentaire, mercredi, dans les colonnes des journaux Le Figaro et Der Spiegel :

"Je crois qu’Emmanuel Macron a changé. Et qu’il a changé pour de vrai cette fois […] Après tout, c’est lui qui a ouvert la porte aux livraisons de chars. Il a aussi soutenu la candidature de l’Ukraine dans l’UE. Je crois que c’était un vrai signal".

Mais ce détour Parisien aura fait grincer des dents.

La Première ministre italienne, notamment, l’a formulé. "L’invitation (d’Emmanuel Macron) à Zelensky m’a semblé inopportune parce que je pense que notre force, dans cette histoire, est l’unité. Je comprends les questions de politique intérieure, le fait de privilégier les propres opinions publiques intérieures, mais il y a des moments où privilégier ces opinions risque de ne pas être favorable à la cause et il me semble que cela a été le cas" a déclaré Giorgia Meloni.

Giorgia Meloni qui, par ailleurs, a encore répété ce jeudi la volonté de l'Italie industrielle de participer à la "reconstruction de l'Ukraine", un chantier pour lequel les Etats se positionnent déjà, pas forcément en unité européenne.

Finalement à Bruxelles : priorité au Parlement européen

Les institutions européennes recevront donc la quatrième visite de Volodymyr Zelensky. Une visite de haute portée symbolique, politique, militaire pour le président ukrainien.

Elle a débuté par le Parlement européen. À nouveau, l’ordre a de l’importance : il n’est pas anodin de s’adresser d’abord aux eurodéputés, élus directs de la population européenne. C’est ce que souligne le Professeur de droit international Franklin Dehousse : "Volodymyr Zelensky s’adresse aussi à la population européenne, par l’intermédiaire de ses dirigeants. C’est la raison du passage au Parlement européen. (…) Il sait très bien que la guerre réclame de l’argent, donc des sacrifices, qu’il y a eu des efforts énergétiques".

Outre les efforts énergétiques, il y a eu l’accueil de millions de réfugiés ukrainiens. Et au Parlement européen, le président ukrainien prépare aussi le terrain, et les esprits, à l’idée d’une adhésion future de son pays à l’Union.

"Il y a cette promesse nébuleuse qui a été faite et autour de laquelle on fait beaucoup de fumée…" commente Franklin Dehousse, "c’est celle de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Et ça aussi, c’est dans l’agenda en deuxième rang lors de cette visite."

Et face à l’hémicycle, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola, par ailleurs la première présidente d'une institution européenne à se rendre à Kiev, a effectivement ponctué la visite, très applaudie, du dirigeant ukrainien, par les mots : "Your nation’s future is in the European Union !"

Enfin, Volodymyr Zelensky a pris place à la table des 27 chefs d’Etats et de Gouvernements européens pour porter, au sommet de l’Union, ses demandes : des armes rapidement dont des avions, de l’argent pour le combat, des engagements pour une adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Sur le même sujet : Extrait Matin Première (09/02/2023)

L'invité dans l'actu : Franklin Dehousse

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