29 minutes au journal télévisé
Le soir du second tour, notons que le journal télévisé a tout de même démarré sur l’évènement sportif du jour avec un reportage sur la victoire de Remco Evenepoel sur Liège-Bastogne-Liège. Ensuite, direction Paris pour un premier tour de 17 minutes d’informations sur l’élection présidentielle, suivies de trois reportages lancés depuis Bruxelles sur la guerre en Ukraine et le décès d’Arno, avant de retourner à Paris pour l’annonce des résultats. En tout, 29 minutes sur 40 du journal télévisé ont été consacrées à l’élection présidentielle française ce soir-là. Les trois quarts.
Ça a quelque chose de très frappant pour un Français qui arrive en Belgique
Une ampleur qui ne cesse de surprendre Isabelle Ory, journaliste française installée en Belgique depuis 16 ans et qui travaille pour la télévision suisse, la RTS, et réalise des correspondances pour le magazine français L’Express : "Je reste surprise après toutes ces années par l’ampleur de la couverture, l’intérêt et le degré de détails dans lequel les Belges francophones se penchent sur la politique française, nous confie-t-elle. Ça a quelque chose de très frappant pour un Français qui arrive en Belgique… Parce qu’on serait bien en peine dans l’autre sens d’aller trouver des Français qui pourraient ne serait-ce que donner le nom du Premier ministre belge".
Pourquoi un tel intérêt médiatique ?
La RTBF n’est pas le seul média francophone belge à avoir donné un écho important à l’élection présidentielle française. Chaînes privées, mais aussi presse écrite en ont beaucoup fait également. Mais qu’est-ce qui explique cet intérêt médiatique d’abord ? (On verra ensuite si le public, lui, a montré un intérêt…)
Pour Pascal Delwit, professeur à SciencePo ULB, il y a un premier phénomène : "On ne sait plus si ce sont les médias qui entraînent l’intérêt du public pour l’élection ou si c’est l’intérêt pour l’élection qui entraîne l’intérêt des médias, explique-t-il. Et ce qui est marquant aujourd’hui, c’est qu’il y a plus de médias qu’avant. Il y a les réseaux sociaux, mais aussi plusieurs chaînes télévisées dont une qui fait de l’info en continu. Si une chaîne fait une opération spéciale, les autres se disent qu’il faut aussi le faire d’autant que le sujet reste important".
Une sorte d’emballement médiatique couplé parfois à une volonté de bien faire. "On voulait évidemment être complet, explique Caroline Hick, responsable de la rédaction internationale de la RTBF. Si on allait chez Emmanuel Macron, il fallait aussi qu’on soit chez Marine Le Pen. Il fallait des experts pour amener de l’analyse, mais il fallait quand même entendre les gens. Au final, le dispositif prenait de l’ampleur tout seul. Mais il est évident que ce n’est sans aucune commune mesure avec ce qu’on fait pour les élections en Belgique où le déploiement est trois fois plus grand, et à juste titre".
Des enjeux importants
Si le deuxième tour a vu s’affronter les mêmes candidats qu’en 2017, cette élection présidentielle n’en restait pas moins importante au regard de plusieurs enjeux.
"C’était une élection cruciale dans le contexte international avec la guerre en Ukraine et avec cette possibilité plus réelle que jamais de voir l’extrême droite s’imposer, analyse Caroline Hick. Quand on regarde la progression sur 20 ans, la crainte est justifiée de voir un jour l’extrême droite arriver au pouvoir avec des conséquences énormes sur la Belgique, sur l’Europe et sur le monde. Donc on ne pouvait pas rater la couverture de cette élection. On devait être là pour l’analyser, pour soulever justement ces enjeux. Si on n’avait pas eu ce dispositif et que Marine Le Pen avait été élue présidente, là on aurait été en tort".
Un point de vue que partage la journaliste française Isabelle Ory. "Même si je trouve que ces élections étaient assez ennuyeuses, il faut reconnaître que deux dimensions pouvaient susciter un intérêt. Cette extrême droite très forte dans un des pays fondateurs de l’Union européenne a suscité une inquiétude et un besoin de décrypter, ce qui justifie je pense une couverture… La deuxième chose, c’est le poids d’Emmanuel Macron dans l’Union européenne d’aujourd’hui dont il est le moteur", précise la journaliste installée en Belgique.
Proximité culturelle et dramaturgie
De manière générale, les liens sont forts entre les Belges francophones et la France. "C’est assez évident, c’est un grand voisin avec lequel nous avons énormément de relations, précise Pascal Delwit. Il y a la langue, bien sûr, mais aussi les vacances, les résidences secondaires puis les communautés. Il y a beaucoup de Français qui vivent en Belgique, énormément de couples mixtes. Et il n’y a pas qu’en politique, on parle beaucoup plus de littérature française que d’autres littératures internationales, même chose pour le sport".
Mais au-delà de cette proximité, l’élection présidentielle française est beaucoup plus simple à suivre que d’autres élections et s’inscrit dans une forme de dramaturgie : "C’est une compétition assez simple à comprendre et au deuxième tour, bien sûr, il y a cette question : quel sera le vainqueur et quel sera le perdant ? C’est d’autant plus attirant qu’on comprend le propos, puisque c’est dans notre langue. En comparaison, il y a aussi une certaine attraction pour l’élection présidentielle américaine, mais c’est en anglais et le système est un peu plus compliqué puisque ce n’est pas une élection directe, c’est une élection indirecte", analyse le professeur de sciences politiques.