Autour de nous, nous entendons constamment parler de manifestations, de luttes ou d'engagements pour défendre tel ou tel combat. On parle le cas échéant d'activisme. Mais qu'est-ce que l'activisme finalement? Qu'est-ce qui le définit? Quelles sont ses limites et ses responsabilités?
Au crépuscule de la semaine dernière et de la Journée Internationale des Droits des Femmes, et en voyant l'actualité défiler sous nos yeux à propos de la guerre en Ukraine. En s'informant sur les récentes manifestations et actions qui ont eu lieu dernièrement à ce sujet, il était intéressant de revenir sur la notion d'activisme, ses tenants et ses aboutissants. On en parle avec Yasmine Lamisse, chroniqueuse juridique.
Carine Thibault, porte-parole de Greenpeace; Anouck Van Gestel, journaliste qui s’était engagée pour les migrants en accueillant des migrants chez elle et acquittée en 2021 dans le procès d'hébergeurs de migrants; Marie Doutrepont, avocate dans le procès de la solidarité des hébergeurs de migrants, experte en droit de l'immigration et la violation des droits de l'homme.
L'activisme, c'est quoi?
Avant toutes choses, Yasmine Lamisse rappelle qu'il est utile de revenir sur la définition de la notion d'activisme qui signifie, selon la définition du Robert: l'attitude politique qui favorise l'action directe, voire violente (on parle alors d'extrémisme), et la propagande active.
Des exemples d'activismes, nous en avons pleins en tête, tels que les activistes féministes, écologistes, ou militants en faveur d'une cause idéologique bien précise. On parle aussi de militantisme ou d'activisme politique qui va même parfois jusqu'à braver la loi.
L'objectif transgressif est de faire changer un pouvoir mis en place ou faire changer les mentalités. Yasmine Lamisse souligne qu'il n'existe pas de définition ni de cadre légal de l'activisme, étant donné que c'est justement une forme d'action qui va parfois justement désobéir à un système légal mis en place.
Yasmine souligne également que les facteurs d'espace et de temps sont importants. Ce qui est considéré aujourd'hui comme légal en Belgique peut être considéré comme illégal en Russie. Ce qui est autorisé aujourd'hui en Belgique pouvait être puni pénalement il y a un ou deux siècles en Belgique, par exemple, l'action de grève était considéré comme un délit et sanctionné pénalement pendant longtemps en Belgique, jusqu'au début du 20ième siècle.
Yasmine rappelle que la frontière entre la légalité et l'illégalité est bien souvent difficile à tracer, et dépend en effet de où l'on se situe et à quel moment. D'ailleurs Yasmine souligne que c'est en 1916-1918, que le terme "activisme" apparaît en Belgique. C'est le mouvement flamant des partisans de l’action en faveur de la langue flamande qui va faire émerger cette nouvelle notion utilisée en Belgique au début du 20ième siècle. Yasmine rappelle que, selon le Wikipédia et Robert, la notion "d'activiste" aurait d'ailleurs une connotation désuète et négative, ce qui est regrettable selon Yasmine, car on peut être activiste pacifique et rester dans la légalité de nos actions. Il semblerait que le terme "militant" serait à l'heure actuelle davantage utilisé pour le terme d'"activiste politique".
Exemples et ONG connus?
Greenpeace: selon Carine Thibault, porte-parole de Greenpeace Belgique, l'activisme pour Greenpeace, se définirait comme suit: face à une situation injuste, c’est-à-dire toutes les situations qui mettent en danger l'avenir de la planète, la protection de la biodiversité et la question de la (in)justice sociale (les inégalités explosent dans le monde).
Carine Thibaut souligne qu'en tant que citoyen indigné, on a une responsabilité et une détermination à agir et à dénoncer. Elle nous raconte les évolutions et les buts poursuivis de l'ONG, qui ont bien évolué depuis 1971. L'association, qui a actuellement 3 millions d'adhérents, est une pionnière activiste des temps modernes et défend depuis son origine des causes écologiques (la première action fût la protestation contre les essais nucléaires menées par le président Nixon), mais aussi humanistes et sociales.
Carine Thibault pointe l'importance d'entamer des actions non-violentes en tant qu'activiste. L'activisme, pour nous, c'est utiliser des actions spectaculaires, toujours pacifistes, pour sensibiliser, mettre en avant ce qui est en train de se passer et que l'on ne voit pas toujours au quotidien, c’est-à-dire les responsabilités des états et entreprises qui mettent sérieusement en danger la planète et l'humanité et qui n'assument pas forcément les conséquences de leurs actes et responsabilités.
Carine Thibault confirme également qu'à partir du moment où l'on défendra une cause, la mobilisation citoyenne, aussi pacifique soit-elle, peut déjà être qualifié d'activiste. Il y a des formes d'activismes 'coup de poing', très médiatisées, à la limite de la légalité ou des formes plus discrètes mais tout autant importantes.
Associations de défense et d'aide aux réfugiés, Plateforme Citoyenne de Soutien aux réfugiés: Anouck Van Gestel, journaliste engagée en faveur des migrants, en accueillant des migrants chez elle, a été une des figures de proue, bien malgré elle, dans le procès récent d'hébergeurs des migrants. Elle a été acquittée en 2021, avec les excuses du ministère public. Anouk souligne que son activisme s'est révélé sur le terrain, en réaction à une injustice. Il est né d'une action directe, pour contrer l'injustice du gouvernement ou des lois injustes qui sont mises en places face aux migrants. Anouk confirme qu'elle a décidé d'agir directement et d'entamer une action de solidarité, à l'instar d'autres citoyens de la Plate-forme Citoyenne.
Différences avec la France?
Concernant la question des migrants et de leur hébergement, le Conseil Constitutionnel français a d’ailleurs récemment déclaré que les dispositions incriminant l’aide aux migrant.e.s étaient anticonstitutionnelles, car elle se heurtent au principe de fraternité.
Responsabilités pénales ou désobéissances civiles?
Marie Doutrepont, avocate dans le procès de la solidarité des hébergeurs de migrants, experte en droit de l'immigration et la violation des droits de l'homme reconnaît que la notion d'activisme n'existe pas légalement.
Malgré cette réalité, des activistes risquent cependant d'être poursuivis pour des faits qui sont sanctionnés par le Code Pénal ou par le Code Civil. On parle alors de responsabilités pénales ou responsabilités et désobéissances civiles, telles que des manifestations ou propagandes pacifiques ou violentes, dégradations des biens publics et privés sur le passage, tags et collages sauvages.
Marie Doutrepont confirme qu'il n'existe pas non de définition réelle et légale de ce qu'est ou pas la désobéissance pénale ou civiles, cela va dépendre, à chaque fois du type d'action qui va être menée, de sa revendication et de sa forme. Cela va dépendre également de où l'on se trouve et à quel moment.
Marie Doutrepont a la conviction qu'un procès peut, dans certains cas, servir une cause. Selon l'avocate, la procédure permet de soutenir une cause ou un mouvement social. Elle autorise de cristalliser les injustices combattues par le mouvement social. Elle rendra la médiatisation possible et pourra amener clairement à faire changer les lignes. Marie Doutrepont donne en exemple le procès récent des hébergeurs de migrants, qui a été médiatisé et qui a pu réveiller les consciences. Selon l'avocate, le fait de désobéir à une loi injuste ou d'intenter une procédure peut être une stratégie pour faire jouer le poids des médias ou de l'opinion publique.
Ingérences des pouvoirs publics?
Marie Doutrepont constate avec regret que nous assistons davantage ces dernières années à des restrictions et de l'ingérence de la part des pouvoirs publics dans notre droit de manifester et de la liberté d'expression, que ce soit en Belgique ou dans d'autres pays démocratiques. Le constat est notamment la limitation d'une manifestation, en définissant des zones neutres où il est permis ou pas de manifester, alors que, par essence, manifester c'est déranger pour faire passer un message.
Marie Doutrepont rappelle que la question de distinguer le légal de l'illégal est éminemment politique, pas uniquement dans le chef des activistes, mais aussi, dans le chef du ministère public qui poursuit ou pas, de la police et des services publics qui contrôle les manifestations ou des politiques qui déterminent certaines règles. Ainsi une manifestation autorisée peut ainsi donner lieu à de nombreux actes illégaux, tels que détournement du tracés, arrêts, sit-in, dégradation des biens publics et privés sur le passage, tags et collages sauvages, mélange des actes politiques légaux et illégaux, pacifiques et violents, qui finalement dépendent moins du comportement des intervenants que de la réponse du pouvoir politique à cette action, comme le précise Yasmine Lamisse.
Les manifestants activistes devront - s'ils fleurtent avec la ligne de la légalité - toujours évaluer un calcul des risques et des responsabilités des différents types actions qui vont encourir. Marie Doutrepont rappelle qu'ils devront assumer le fait qu'ils pourront encourir une forme de répression pénale ou de sanction civile. L'avocate constate que ces dernières années, des sanctions civiles lourdes notamment en dommages et intérêts sont imposées afin de museler certains activistes et d'empêcher certaines actions d'être réalisées.
Carine Thibault souligne que Greenpeace prendra peut-être certains risques légaux ou financiers en entamant certaines actions, mais jamais le risque pénal de s'attaquer aux personnes. Elle le définit comme un activisme civil ou sociétal, en opposition à l'activisme plus radical ou extrême. Carine Thibault précise que l'activisme c'est une chose, mais il y a aussi d'autres actions qui sont mises en place, notamment par Greenpeace, telles que le lobby, les rencontres politiques, les pétitions, les investigations, les plaintes.
En clair
Les moyens d’action de l’activisme (politique ou autre) ont évolué avec le temps en Belgique et partout dans le monde. Par exemple, le principe des manifestations et de grèves, considérés comme des moyens violents et illégaux dans la première moitié du 20ième siècle, sont progressivement autorisés et encadrés par la loi belge.
Yasmine Lamisse souligne que l'activisme (politique ou autre) peut être parfois l'arme naturelle de dernier recours. C'est alors la forme d’action utilisée lorsque l’usage des moyens politiques légaux est impossible ou paraît impossible à certains mouvements sociaux. Dans d'autres cas, les partisans de l'activisme refuseront volontairement l’usage de ces moyens légaux, pour des raisons de principe ou d’efficacité. On va alors entrer dans une stratégie de faire jouer notamment le poids médiatique et l'opinion publique.
Yasmine Lamisse conseille de toujours bien s'entourer, notamment avec des associations, et se renseigner sur ce qui est encadré ou pas avant d'entamer une action qualifiée d'activisme, qui fleurterait avec la légalité. Yasmine prône de rester dans la réflexion citoyenne.
Marie Doutrepont souligne qu'il ne faut pas rougir de se revendiquer activiste, car, selon elle, c'est très beau au fait. Cela explique que nous sommes vraiment touchés par une cause citoyenne, par les injustices qui nous entourent, que l'on a envie de s'engager concrètement de façon généreuse et solidaire, et même de s'indigner en tant que citoyen.
Sites utiles?
www.greenpeace.org/belgium/fr;
www.cire.be/publication/comment-aider-les-migrants-en-belgique-voici-idees-concretes/;