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Wednesday : Le rock indé sous son meilleur jour

Wednesday, nouvelle sensation du rock indépendant

© Brandon McClain

Par Nicolas Alsteen via

Pas là pour plaire, mais pour émouvoir, Wednesday sert du rock alternatif sans concession. Nourri à la distorsion, abreuvé d’amour et de mille désillusions, le répertoire du groupe américain secoue les tripes et remue les cœurs. Véritable déluge émotionnel, l’album "Rat Saw God" nous ouvre les pages du journal intime de Karly Hartzman, voix de sa génération, conteuse et chroniqueuse d’une adolescence sur le point de basculer. Rencontre avec l’une des révélations de l’année.

La technologie ouvre d’infinies possibilités et permet quelques tours de passe-passe. Comme de se glisser, à distance, dans la voiture de Karly Hartzman. La chanteuse du groupe Wednesday cramponne son téléphone juste à côté du volant et allume sa caméra. Embarqué en visio à bord du véhicule, JAM se faufile sur les routes de Caroline du Nord. Par la fenêtre, le paysage défile : forêt de sapins, montagnes au loin, paysages verdoyants, chaînes de restauration rapide... L’interview démarre sur les chapeaux de roue. "Je suis né à Greensboro, à environ deux heures de route d’ici", raconte-t-elle. "J’ai grandi en chantant, le plus souvent lors de fêtes juives ou à la synagogue. Chez moi, mon père jouait des reprises en s’accompagnant à la guitare. On chantait souvent ensemble, surtout le "Lean on Me" de Bill Withers. C’est l’un de ses titres préférés. Au collège, puis au lycée, je n’osais pas dire aux autres que je m’intéressais à la musique. J’étais une enfant timide, assez réservée. En arrivant à l’université, je me suis dit : "Et puis merde, c’est ce que j’ai toujours voulu faire !" J’ai racheté la guitare d’un pote pour une centaine de dollars et j’ai appris à jouer en regardant des vidéos sur YouTube."

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Sundays, Wednesday, Happy Days

Apprentie guitariste, Karly Hartzman compose alors des chansons en vue de les offrir à sa sœur : "J’ai formé Wednesday avec des potes en 2018 pour jouer un concert spécial à l’occasion de son anniversaire. À l’origine, il s’agissait d’une formation éphémère, appelée à disparaître au lendemain de la fête d’anniversaire." Évidemment, l’histoire en a voulu autrement... En tapant Wednesday dans un moteur de recherche, les résultats affichés sont divers et variés, mais rarement associés à la musique alternative. "Choisir un jour de la semaine comme nom de groupe, c’est une façon de déjouer les attentes. À la fin des années 1980, en Angleterre, les Sundays avaient fait pareil. Le mercredi, c’est juste un jour comme les autres. Personne ne se représente des musiciens ou une chanson en lien avec cette journéeC’est amusant parce que, depuis quelques mois, il existe une série Netflix, réalisée par Tim Burton, qui s'appelle également "Wednesday". Aux États-Unis, c'est l’une des séries les plus populaires du moment. D’ailleurs, depuis sa diffusion, notre référencement sur Google est encore moins bon. Très honnêtement, ça m’arrange un peu. Je n’aime pas trop être exposée aux médias, aux réseaux sociaux."

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Le cri du cœur

C’est avec "Twin Plagues", sorti en plein confinement, que Wednesday suscite l’emballement aux États-Unis, où de nombreux médias y trouvent autant de raisons de se réjouir qu’à l’écoute des disques de Big Thief. Plus exigeant et mieux ficelé que son prédécesseur, le nouvel album de Karly Hartzman et sa bande chante la vie des banlieues, l’adolescence sur un vélo, à traverser des rues jonchées de mégots, de déchets et de préservatifs troués. Virée alternative sur les cendres du rêve américain, "Rat Saw God" formule une recette sans concession. "Sur cet album, nous sommes plus extrêmes et radicaux que jamais. D’un point de vue vocal, par exemple, je franchis certaines limites, des zones dangereuses, pas du tout confortables pour moi. Je chante des trucs qui, sur le papier, ne sont absolument pas dans mes cordes…" À cet égard, le cri poussé sur les hauteurs de "Bull Believer" n’épargne aucune sensibilité... "Il vient d'un endroit où il y a de la tristesse. Ce cri se rapporte à la perte d’un ami", révèle Karly Hartzman. "La chanson décrit la dernière nuit que nous avons passée ensemble. Quand je la joue en concert, je ne m'impose jamais de revivre ce souvenir. Je songe plutôt à la frustration accumulée au cours de la journée. Penser à la mort d’un ami sur scène, ce serait vraiment un calvaire... En revanche, pour l’enregistrement studio, j’ai tout donné. J’ai poussé un cri empli de rage, de désespoir et de douleur : un cri qui vient du cœur."

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Rock cross country

"Rat Saw God" est, sans conteste, le meilleur album de Wednesday à ce jour. Pour l’appréhender à sa juste valeur, percevoir sa profondeur, et mesurer la portée des dix morceaux qui le composent, il convient de faire un petit pas en arrière... Pas plus tard que l’année dernière, le groupe s’autorisait un disque de reprises : une sortie dans laquelle le groupe revisitait d’obscurs morceaux country, mais aussi des titres oubliés, dégotés dans les greniers de Medicine, des Smashing Pumpkins ou de Vic Chesnutt. "Nous voulions voir si nous étions capables de nous réapproprier leurs univers. C’était aussi une façon de marquer notre respect pour le rock alternatif et la culture country. Je suis consciente de la richesse des œuvres du passé. Quand je joue de la guitare, par exemple, je songe souvent à Waylon Jennings, à Willie Nelson et à toutes les grandes figures de l'outlaw country. Sur le plan lyrique, ce sont des références. Je voulais montrer aux gens que nos morceaux ont une genèse : ils ne viennent pas de rien. Mon groupe préféré de tous les temps, par exemple, c’est The Swirlies, une formation indie rock, très shoegaze, des années 1990. Leur son m'inspire beaucoup. Je puise également des forces dans la littérature de Richard Brautigan qui, à mes yeux, est un auteur essentiel. Je dois aussi évoquer l’influence de Linda Barry, une figure de proue de la BD alternative. Son travail me bouleverse."

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Journal intime, effort collectif

Avant de voir surgir Wednesday avec son troisième essai – le premier pour le compte du label Dead Oceans (Shame, Khruangbin, Kevin Morby) –, c’est le guitariste Jake Lenderman qui s’est distingué en solo sous le nom de MJ Lenderman. Publié en 2022, son album "Boat Songs" s’est invité dans les tops de fin d’année en naviguant sur des courants autrefois empruntés par Neil Young. "Peut-être qu’un jour, je sortirai moi aussi des choses de mon côté", confie Karly Hartzman. "Mais pour l’instant, ma priorité, c’est le collectif. J’enregistre bien quelques morceaux ambient avec Jake sous le nom de Nash to Stoudemire, mais ça reste un exutoire, un projet récréatif." Comme des pages arrachées dans un journal intime, les chansons de Wednesday racontent pourtant la vie de la seule Karly Hartzman. "Oui mais, sans les autres, tout ceci n’aurait aucun sens. Xandy (Chelmis), avec son lap-steel, est une pièce essentielle dans notre mécanique. Puis, les parties de guitare de Jake sont démentielles : elles interagissent parfaitement avec celles jouées par Xandy. Alan (Miller) incarne notre section rythmique avec une sensibilité qui n’appartient qu’à lui. Sans eux, Wednesday n’existerait pas. C’est une évidence."

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La vie des autres

Si le nouvel album de Wednesday n’entretient aucun lien avec la superproduction Netflix, il trouve tout de même son titre dans une série télévisée : "Rat Saw God" est le nom d'un épisode de "Veronica Mars". "Il s’agit d’une série un peu dramatique et vaguement policière pour adolescents", précise Karly Hartzman. "J'étais en train de la regarder et le titre de cet épisode, "Rat Saw God" ("La vie est injuste", Ndlr), m’a semblé parfaitement indiqué. J'ai envoyé un texto aux autres en leur demandant : "Ne serait-ce pas le titre de notre album ?" Tout le monde m’a répondu que oui. Il n’y a donc eu aucune hésitation sur le choix final..." La cruauté du destin et autres extraits d’une existence borderline offrent ici un terreau fertile à des chansons à vocation cathartique. "Au quotidien, je déteste parler de moi. Lors d’une conversation, par exemple, je suis toujours la confidente, celle qui écoute la vie des autres. Mais quand il s'agit d'écrire des chansons, je me sens plus à l'aise avec ma propre histoire. C’est parfois inconfortable de me dévoiler comme ça... Mais tout l’inconfort que j'éprouve se dissipe dès que des gens me disent que Wednesday les aide à se sentir mieux. En exfiltrant ma douleur, j’ai parfois l’impression d’aider les autres à guérir."

Punk rock & mobile home

La voiture de Karly Hartzman s’immobilise. L’interview touche à sa fin. Avant de descendre de son véhicule, la chanteuse nous parle du morceau "Chosen To Deserve" et de son clip, tourné en d’autres temps, dans un centre de loisirs. "Cet endroit n’est pas très loin d’ici", dit-elle. "J’y allais le week-end, en famille, à bord d’un mobile home. J’y ai passé une partie de mon enfance." Exhumées des archives familiales, les images de la vidéo montrent la petite Karly en action. "Ce clip, c’était d’abord une excuse pour revenir sur les lieux de mon enfance. Et puis, c’est un clin d’œil. "Chosen To Deserve" est une chanson d’inspiration country. Et c’est justement, là-bas, dans ce centre de loisirs, que j’ai découvert ce style musical. J’ai grandi dans cet environnement, il fait partie de mon histoire, tout comme ma sœur et mes parents, qu’on voit aussi dans le clip. Je trouvais ça cool de les voir apparaître à l’écran. J’avais envie de partager ma musique à leurs côtés." Aujourd’hui, on prend volontiers le relais.

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