En 1981, un échec commercial cuisant (Merrily We Roll Along) a néanmoins fait sentir à Sondheim le douloureux revers de l’industrie du spectacle. Car il est enfant de Broadway autant qu’il y est atypique. Sa haute exigence dramaturgique, sa recherche acharnée de la phrase parfaite (“Attend the tale of Sweeney Todd”, ouvrant le show du même nom et dont le rythme taillé au fil du rasoir rebondit en trois "t" explosifs), son amour du défi d’écriture en font une exception, alors que Broadway évolue vers des méga-productions de plus en plus démesurées et commerciales.
Face aux juke-box musicals qui engrangent des millions de dollars en alignant des tubes que le public connaît avant d’entrer dans la salle, l’ambition théâtrale de Sondheim, à l’aube du XXIe siècle, paraît d’une autre époque. Intellectuel dans un univers aux impératifs financiers toujours plus durs, expérimentateur dans un milieu qui exige des recettes bankables, homme de culture dans un monde où le média prime sur le contenu, convaincu que la réelle création ne pourra fleurir que soutenue par des subventions publiques (“comme cela se fait dans de nombreux pays” souligne-t-il), Sondheim ne connaîtra plus de création à Broadway après Passion (1994).
Son influence artistique est incontournable. Mais si son poids commercial reste significatif, c’est grâce à ses ouvrages du siècle passé, parfois adaptés au cinéma en grande pompe. Sweeney Todd : The Demon Barber Of Fleet Street (2007) et Into The Woods (2014) alignent respectivement au générique des noms aussi prestigieux que Tim Burton, Johnny Depp ou Meryl Streep.