Les Grenades

Zainab Fasiki, la bédéiste marocaine féministe qui libère la parole

© Tous droits réservés

Un trait aussi génial que nécessaire, un regard aussi engagé qu’avisé ; l’artiste Zainab Fasiki déconstruit les tabous liés à la sexualité et ouvre au dialogue. Les Grenades vous encouragent à foncer à l’Espace Magh à partir du 25 octobre pour découvrir les illustrations issues de son ouvrage Hshouma.

C’est à quelques jours de son vernissage que nous retrouvons Zainab Fasiki à Bruxelles. Cette artiste de 28 ans, devenue une icône féministe sur les réseaux sociaux, parcourt le monde pour présenter au public son livre Hshouma. Un titre qui va droit au but, en référence à l’expression qui signifie "la honte" en dialecte marocain.

Plus précisément, ce mot recouvre l’ensemble des sujets considérés comme impudiques, qui dès qu’ils sont abordés, sont réduits au silence à coup de "chut, c’est hshouma". Notre interlocutrice, elle, a décidé d’en finir avec les non-dits et revient pour Les Grenades sur la genèse de son projet.

"C’est le dessin qui m’a sauvée"

"J’ai grandi dans l’ancienne médina de Fès, dans une famille musulmane. J’ai cinq frères, je suis la dernière, la seule fille", introduit-elle. Très jeune déjà, elle observe des injustices en raison de son genre : que ce soit le harcèlement de rue ou les différences de traitement au sein de sa famille. Elle évolue dans un climat de pudeur et de surprotection, tandis que ses frères accèdent à de plus grandes libertés. Au fil des années, Zainab Fasiki qui a soif de découvertes sent brûler en elle, une tension, un sentiment de frustration.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Après les secondaires, elle se lance dans des études à l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique : nouvelle claque. Outre le fait de devoir supporter la masculinité toxique qui règne dans l’auditoire, le monde de l’industrie se révèle d’une grande violence. "J’étais une bosseuse, mes notes excellaient en physique et en math, pourtant durant mes stages sur le terrain, on me rappelait sans cesse que je n’étais pas à ma place en raison de mon genre."

Un jour, c’est la goutte d’eau. Entre le harcèlement sur son lieu de stage, les violences sexuelles dans l’espace public et le manque de liberté imposé par ses parents, elle craque. "J’ai fini par avoir des idées suicidaires. Je suis tombée en dépression." Acculée, elle libère ses émotions grâce à ses crayons et sa tablette graphique. "C’est le dessin qui m’a vraiment sauvée, qui a sauvé mon âme triste."

Représenter le corps des femmes

À l’aube de sa vingtaine, Zainab Fasiki multiplie les illustrations. Sous ses traits : son corps de femme en version nue et géante. Une libération des représentations qu’elle qualifie de thérapeutique. Elle décide alors de publier ses dessins sur les réseaux sociaux. Les réactions fusent, autour d’elle se construit une véritable communauté. "Très vite, j’ai dû faire face aux insultes et en même temps, j’étais contactée par des magazines."

À Casablanca, elle rejoint le collectif marocain de bande dessinée Skefkef. "C’est devenu mon école d’art, c’est avec ce collectif que j’ai appris le scénario, le découpage." À travers ses séries de dessins, elle dénonce notamment le harcèlement et les violences sexistes dans l’espace public. À l’été 2017, une jeune femme en situation de handicap est victime d’une agression sexuelle dans un bus. Bouleversée, Zainab Fasiki publie un dessin légendé : "Les bus sont faits pour transporter les gens, pas pour violer les filles." Son post est relayé par nombre de médias internationaux.

On me rappelait sans cesse que je n’étais pas à ma place en raison de mon genre

Son travail gagne en visibilité. "Jai compris que dans toutes mes illustrations se répétait cette notion de hshouma, de honte. En fait, rien que d’exister en tant que femme qui parle de liberté, c’est hshouma. La pudeur, c’est un choix, il ne faut pas l’imposer. Si une femme veut être ingénieure, voyager, se dessiner nue ou rester au foyer pour ses enfants, ça doit être son choix !" Et c’est ainsi que petit à petit elle développe ce qui deviendra son projet, pour combattre les tabous liés au corps féminin et à la sexualité.

Un discours anti-désir qui impacte la santé mentale

"En 2018, j’ai rencontré les éditions Massot qui ont bien accueilli l’idée de publier un guide d’éducation sexuelle laïque et queer. Mon objectif était d’aider les autres jeunes, parce que lorsque tu grandis dans un environnement où l’on te répète que l’homosexualité c’est mal ou qu’il est interdit de faire l’amour avant le mariage, tu finis par te dire que peut-être c’est toi le problème… Mais non, tout est normal ! Je ne veux pas que les nouvelles générations expérimentent ce que j’ai vécu, ce discours anti-désir a des impacts sur la santé mentale", explique-t-elle.

Les questions de genre, d’éducation sexuelle ou de violences faites aux femmes sont autant de sujets abordés dans son livre Hshouma publié en 2019. Les planches de l’artiste célèbrent les corps et leur beauté, et se révèlent un pied de nez aux sociétés patriarcales, aussi bien au Maroc qu’en Europe. En effet, si Zainab Fasiki est née et habite toujours au Maroc, son message résonne avec tout autant d’importance de ce côté-ci de la Méditerranée.

"Quand on est dans un pays musulman, on vit cette souffrance de contrôle, mais dans un pays comme la Belgique la souffrance s’opère aussi. L’adolescent·e qui grandit dans une famille musulmane ici passe toutes ses journées à l’école à entendre des discours qui se veulent libres, qui parlent de sexe, mais le soir il ou elle rentre et passe sa soirée avec des personnes qui tiennent un autre discours et ça, ça crée une double souffrance." À savoir, à Bruxelles, dans cette même volonté de dépasser les tabous au sein de la communauté arabo-musulmane, la sexologue Zina Hamzaoui a publié l’ouvrage chut, hchouma !.

Rien que d’exister en tant que femme qui parle de liberté, c’est hshouma

Artiste et activiste

Zainab Fasiki a à cœur d’encourager les réflexions : outre la présentation de son livre, elle parcourt le monde pour participer à des expositions, des rencontres, des ateliers. "Tout ça fait partie du mouvement que je voulais créer pour libérer la parole. C’est important pour moi de discuter avec les jeunes pour qu’ils et elles comprennent qu’on peut être une Marocaine et parler du droit à l’avortement ou du droit de faire l’amour hors mariage, tandis que ces comportements restent interdits aux yeux de la loi."

L’autrice indique du reste que de plus en plus de collectifs, d’associations luttent au Maroc pour faire évoluer les lois. Récemment d’ailleurs, les féministes marocaines ont marqué l’actualité en manifestant le 28 septembre à Rabat pour réclamer la révision des lois criminalisant l’avortement à la suite de la mort d’une adolescente victime d’une IVG clandestine.

Nul doute que Zainab Fasiki, suivie par près de 100 000 personnes sur Instagram, contribue au changement de mentalité dans son pays. "Je craignais que mon livre ne soit censuré au Maroc, mais non il a été très bien accueilli. J’ai signé dans toutes les grandes librairies du Nord jusqu’au Sud. Bien sûr, il y a eu tout un mouvement qui voulait m’anéantir ; en plus des injures et des menaces de morts, des articles de presse m’ont accusée de choses que je n’ai jamais faites, de plagiat, mais ça n’a pas marché, le public m’a soutenue."

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

© Tous droits réservés

Aujourd’hui, elle se dit en paix et forte face à celles et ceux qui voudraient la silencier. "Je me bats contre un énorme monstre, la hshouma, mais quand je vois que nous sommes nombreux et nombreuses à partager ce combat, je garde la motivation", conclut-elle.


Infos pratiques

L’exposition Hshouma de Zainab Fasiki, à l’Espace Magh du 25 octobre au 19 novembre. Le 25 octobre à 20h, une rencontre est organisée avec l’autrice.

Le livre : Hshouma, Corps et sexualité au Maroc, Massot Editions, 2019.


Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


 

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous